L'AVIS :

Après « Danse macabre », « Différentes saisons », « Brume », « Minuit 2 et Minuit 4 », « Rêves et cauchemars », « Cœurs perdus en Atlantide », « Tout est fatal », « Juste avant le crépuscule », « Nuit noires, étoiles mortes » et « Le bazar des mauvais rêves », voici venu le temps, non pas de rires et de chants, mais du dernier recueil de nouvelles en date de l’écrivaindu Maine.
« You Like It Darker » combine des nouvelles déjà publiées (ici ou là, la plupart du temps non traduites en français) de Stephen King avec des nouvelles inédites, offrant un mélange de décors et de personnages familiers ou non. Douze nouvelles pour douze nuances de noiresafin d’appréciertoute l’étendue du spectre fantastique, horrifique, insolite et même science-fictif propre à l’auteur.
Pour le tour du propriétaire, c’est par ici :

DEUX CRAPULES PLEINES DE TALENTS
Dans le récit d'ouverture, nous rencontrons Laird et Butch, deux amis dont la vie est bouleversée par une rencontre fortuite avec un être surnaturel. Le don de l’extraterrestre, contenu dans une petite boîte grise qui réveille leurs génies artistiques intérieurs, les lance sur la voie de l'exploration créative, et les amènent à devenir des écrivains et des artistes de renom.
On ne pourra que remarquer la résonance de cette nouvelle avec le roman « Les Tommyknockers », mais avec une approche plus optimiste et bienfaisante de la rencontre entre des artistes et le surnaturel. Une manière pour King de revisiter un thème familier avec un regard neuf et un tantinet émouvant. Pas inoubliable, mais une entrée en matière plutôt convaincante.

LA CINQUIEME ETAPE
Un ingénieur à la retraite profitant de ses vieux jours à Manhattan, rencontre un visiteur inattendu au cours de sa routine quotidienne à Central Park. Un homme apparemment ordinaire, Jack, s'approche de lui, prétendant être un membre des Alcooliques Anonymes cherchant de l’aide afin de réussir la cinquième étape de la méthode de ces derniers.
Nouvelle aussi brève que fulgurante semblant toute droite sortie d’un antique EC Comics avec retournement final sarcastique et tout le toutim. Nouvelle réminiscence de l’ancien alcoolisme du romancier qui parvient à transformer un banc public en confessionnal.

WILLI LE TORDU (publié en France dans la revue BIFROST n° 104 en octobre 2022 sous le titre « Willie le Zinzin »)
Willie et Grand-père échangent des histoires à dormir debout sur des événements historiques et des catastrophes naturelles. Pendant ce temps, le reste de la famille est aux prises avec l'étrangeté de Willie et la santé déclinante de Grand-père. Alors que le COVID se propage à travers le monde, la santé de Grand-père se dégrade à cause d'un cancer.
Assez brillant dans sa construction, se connectant avec la nouvelle « Mémé » issue du recueil « Brume », même univers, même personnage ayant (peut-être ou non) des capacités surnaturelles, avec un retournement de situation finale prenant une tournure inattendue et soumise à diverses interprétations possibles. Subtil.

LE MAUVAIS REVE DE DANNY COUGLHIN
Le thème de cette nouvelle fait écho au roman « L’institut »
Danny Coughlin, concierge d'un lycée dont la vie est bouleversée à jamais par un rêve saisissant. Dans ce rêve, il voit une victime de meurtre enterrée derrière une station-service abandonnée, portant un bracelet à breloques au poignet. Le rêve est si réaliste que Danny devient obsédé par la découverte de la vérité, ce qui le conduit à enquêter sur la scène de crime et à devenir le principal suspect de l'enquête.
Un court roman sur la puissance des rêves et le psychisme troublede certains agents de l’ordre. 177 pages pour explorer l’obsession viscérale, l’acharnement, la culpabilité, les troubles obsessionnelles compulsifs, mais aussi la folie, le côté obscur de la nature de la psyché humaine et de la justice. On n’oubliera pas de sitôt l’inspecteur Jalbert et son arithmomanie.
L’une des deux ou trois meilleures nouvelles du recueil, sans hésitation possible.

FINN
De son entrée malchanceuse dans le monde (littéralement abandonné par la sage-femme) à une série d'accidents de plus en plus improbables, la vie de Finn semble régie par une force maléfique invisible.
Même si l'histoire prend un ton surréaliste, presque kafkaïenet que la fin nous laisse dans l’expectative, la nouvelle se relève tout de même assez anecdotique, malgré un humour noir toujours de bon aloi.

SLIDE INN ROAD
Le voyage mouvementé d'une famille dans une vielle Buick sur une route défoncée du Maine.
Une sorte de court thriller entre lutte pour la survie, exploration de la dynamique des liens familiaux et résilience des vieux briscards.
Une histoire, certes efficace, sans aucun élément fantastique, avec une pointe d’humour mais dont le dénouement nous laisse un peu sur notre faim, comme de rester en plan au premier chapitre d'un roman…dont les autres chapitres n'auraient jamais été écrits, ce qui est un peu ballot, tout de même.

ECRAN ROUGE
Un policier interroge un plombier apparemment dérangé qui vient d’assassiner sa femme, et déclare l’avoir fait pour raisonde possession extra-terrestres de cette dernière.
Y aurait-il une once de vérité dans la théorie, à priori farfelue du tueur ? L’épouse du policier est-elle possédée ou simplement « victime » de la ménopause qui s’installe ? Le final nous laissera dans l’expectative.
Une courte histoire qui aurait pu être un excellent épisode des « Contes de la Crypte »

L’EXPERT EN TURBULENCES (publié en France dans l’anthologie « Classe tous risques » en Juin 2020)
Une entreprise clandestine employant des télépathes capables de prédire des conditions météorologiques extrêmement capricieuses et de réunir les énergies psychiques des passagers d'un avion afin d'empêcher celui-ci de s’écraser.
Incursion relativement rare de King dans la science-fiction. Si le concept central de l'histoire est relativement original, voir amusant, la nouvelle finit par laisser perplexe, elle semble trop courte et on a envie d’en savoir plus.
Cela étant dit, elle aurait fait un bon épisode de « la quatrième dimension »

LAURIE (déjà publie en français, en ebook – 2019)
Lloyd, un veuf, trouve du réconfort auprès de Laurie, une chienne offerte par sa sœur, dont il semble ne pas vouloir. Mais avec le temps, il va retrouver le sens de la vie grâce à ce chiot qui deviendra rapidement un véritable compagnon.
Ou l'art de savoir conter une banale histoire, d'un vieil homme endeuillé, qui se prend d'amitié pour sa petite chienne.
Une histoire qui commence par le familier, vire au terrifiant et se termine en nous rappelant les liens profonds qui rendent la vie digne d'être vécue, même face à la perte et au danger.C'est simple et émouvant avec en primeune petite scène cauchemardesque quand même… on ne se refait pas.

SERPENT A SONNETTES
Une longue nouvelle de plus 100 pages qui redonne vie au personnage de Vic Trenton, le père de famille dont la femme et le fils se sont retrouvésenfermés à l’intérieur d’une voituredans le roman « Cujo », chien enragé, pendant une journée caniculaire et qui vit en Floride, dans une des Keys, non loin de la fameuse et mythique « Duma Key ».
Veuf et solitaire, âgé de plus de soixante-dix ans, Vic est aux prises avec une douleur plus profonde que n'importe quelle phobie ; il est hanté non seulement par les souvenirs de son fils décédé, mais aussi par la présence fantomatique d’une poussette et de deux enfants décédés il y a longtemps.
Abordant le deuil d'un enfant et les différents moyens qu'ont les personnes pour y faire face, la nouvelle est plaisante à lire, mais manque un peu de souffle.

LES REVEURS
William Davis, un vétéran du Vietnam est tourmenté par les ténèbres de son passé.
Pour échapper à ses démons intérieurs, Davis se retrouve employé par Elgin, un scientifique dont les travaux explorent les recoins les plus sombres de la conscience humaine. Les sinistres expériences oniriques lovecraftiennes d'Elgin poussent les sujets humains à accéder à un monde cauchemardesque d'une horreur inimaginable, capable de s'immiscer dans notre propre réalité.
Le thème central de la nouvelle, le pouvoir terrifiant des rêves à transformer notre monde, est construit méticuleusement et oscille entre un récit, tout à la fois un thriller tendu et palpitant, une quête philosophique et une explorationde la psyché humaine, explorant des questions existentielles.
Très bonne nouvelle aux accents Lovecraftien.

L'HOMME AUX REPONSES
Un avocat d'une petite ville qui, en 1937 pendant la Grande Dépression, rencontre un personnage mystérieux connu sous le nom de « l'Homme aux Réponses ». Cet être énigmatique propose de répondre à trois questions de Phil pour 25 $, l'entraînant ainsi dans un voyage de découverte de soi et d'introspection. Tandis que Phil navigue à travers les méandres de sa vie, il doit affronter les sombres réponses qui ont façonné son destin et la tragédie que le destin lui réserve.
Une excellente nouvelle se déroulant en cinq étapes de la vie d'un homme. Cette histoire de 50 pages, même un peu trop courte, ferait un très bon scénario de film.

77 ans, plus de soixante romans et quelque 200 nouvelles au compteur. De quoi ne plus escompter du pape du thriller horrifique le renouvellement permanent, plutôt la variation. C’est sans compter son imagination et son talent de conteur naturaliste.
Oui, il a vieilli (ça tombe bien, moi aussi). Oui, ses histoires ne sont pas les plus noires que la terre aitportées et si on n'atteint pas le niveau de ses meilleurs recueils, le plaisir de lecture est toujours là.