Spermula
Spermula
Une société secrète composée de vierges venues de la planète Spermula souhaite conquérir la Terre afin d’y imposer une nouvelle morale libératrice empreinte de progressisme et y faire cesser le désordre. Pour mener à bien leur dessein, les Spermulas prennent la forme de femmes magnifiques, afin de dominer les hommes en leur retirant toute puissance sexuelle et virilité, source de la plupart des maux de l’humanité. Mais leur plan ne se déroulera pas comme prévu...
L'AVIS :
Spermula est bien plus qu’un film : il s’agit d’une plongée onirique dans l’inconscient collectif des années 70, un joyau du cinéma érotico-fantastique qui demeure inégalé. Rares sont les productions qui marient aussi harmonieusement la sensualité décomplexée et une véritable vision artistique.
Cette œuvre peut cependant en désarçonner plus d’un. Le titre et la tagline française (« Certaines femmes vampires ne se nourrissent pas de sang. ») peuvent porter à confusion, du fait de leur caractère un brin racoleur. Charles Matton souhaitait, un peu pompeusement, appeler son film « L’Amour est un fleuve en Russie », titre ayant une résonance dans le film mais jugé peu vendeur par le distributeur qui lui a préféré « Spermula ». La frange du public ainsi attirée par l’aspect érotique et racoleur s’en trouvera déçue, se retrouvant face à un film bien trop arty et intellectuel. Inversement, la sexualité omniprésente et parfois peu subtile pourra faire fuir ceux en quête d’un film purement intellectuel. C’est cependant là la force et la singularité du film. Spermula est un chef-d’œuvre du cinéma d’avant-garde qui questionne la morale tout en plongeant le spectateur dans un univers où l’érotisme devient un art.
L’intrigue, se déroulant sur le mode du conte philosophico-érotique, ne se limite pas à une banale histoire de conquête de la Terre par une civilisation hostile. Nichée au sein de la galaxie TXI 2245, la planète Spermula trouve en son sein des créatures souhaitant libérer l’humanité, en extirpant toute forme de violence et d’orgueil par l’extase pure et libératrice du désir. Le dossier de presse d’époque précise que « cette société est sans cœur, mais elle a une passion : l’Ordre. Or le désordre règne. Il faut y remédier en y détruisant la virilité tenue pour être responsable de tous les désordres et tous les fléaux. Pour ce faire, il suffit aux femmes, par le moyen d’une fellation magique, de prélever la semence des hommes. Dès lors, leurs victimes leur seront soumises, à tout jamais esclaves de leur cause.
La condition du pouvoir de ces jeunes filles est leur virginité ». Ainsi, un commando composé de vingt femmes-vampires se rend sur Terre. Ce scénario (rédigé entre 1973 et 1975) sert donc de toile de fond à une exploration de la sexualité comme force de libération, et vient soutenir son discours politique. Spermula n’est donc ni un simple film érotique, ni un film purement intellectuel. Cependant, ce mélange entre discours politique et moral, sur fond de liberté sexuelle et artistique en fait une production éminemment représentative de son époque, le milieu des années 70. Cette dualité s’explique par la genèse du film. En effet, Bernard Lenteric proposa à Charles Matton de réaliser un film érotique. Ce dernier étant davantage préoccupé par des questions artistiques, refusa dans un premier temps. Il finira cependant par accepter, devant le budget relativement conséquent et la liberté artistique quasi totale qui lui a été accordée.
L’intrigue et les motivations du commando peuvent sembler confuses dans un premier temps, les dialogues abscons et poétiques n’aidant pas. Cependant, ces derniers s’intègrent et participent activement à l’aspect onirique de cet univers. Nous suivons l’évolution des motivations, sentiments et du questionnement philosophique d’Ingrid (à la tête du commando – interprétée par la magnifique Dayle Haddon) sur sa condition propre. Ce débat vient nourrir le discours du film, tout en le préservant d’une forme de manichéisme ; travers dans lequel nombre d’autres films tombent aisément. L’autre personnage le plus intéressant et énigmatique est Werner, bras droit du maire, interprété par Udo Kier, beau comme jamais dans ce métrage. Il est informé de l’existence de la société secrète et souhaite en prendre part et être volontairement « libéré », contrairement aux autres personnages qui sont des victimes. Nombre de personnages sont constitutifs d’archétypes, visant à porter le discours politique du film. On trouvera le maire, personnage vénal qui frappe et insulte allègrement sa femme et dont la résidence ressemble davantage à un musée de la guerre. Ou encore le cardinal, de mèche avec le maire.
La motivation du commando réside dans le fait que les humains ne savent pas vivre leur liberté. Leur intervention vise donc à les libérer de leur orgueil, afin de les libérer tout court. La mise en œuvre de ce plan de conquête n’est pas aisé, Ingrid étant perpétuellement en proie à ses propres doutes. D’autres Spermulas se retrouvent à éprouver des sentiments, à apprécier se regarder dans le miroir. Elles sont ainsi prises par les mêmes sentiments dont elles veulent libérer l’être humain.
L’une des forces de Spermula réside dans son aspect visuel très travaillé, offrant à chaque plan un spectacle d’une beauté hypnotique. Charles Matton fut également peintre, sculpteur, illustrateur et photographe en plus d’être réalisateur et il a su insuffler ce raffinement esthétique au film. Tout l’univers du film est pictural et homogène, perpétrant une ambiance surréaliste où le désir est à la fois palpable et éthéré. Les scènes érotiques n’y sont jamais vulgaires mais sont toujours stylisées avec une élégance rare, dans une poésie visuelle qui frôle le mysticisme.
En somme, Spermula est un film qui ne se contente pas de raconter une histoire, mais qui a su créer un véritable univers singulier semblant irréel. Visionnaire, audacieux, et incroyablement beau, il s’agit d’une œuvre d’art qui mérite d’être découverte pour ce qu’elle est : un sommet du cinéma érotico-fantastique qui reste dans l’esprit bien après le générique final.
* Disponible en DVD et BR chez Carlotta