House - the
Skinamarink
Deux enfants se réveillent au milieu de la nuit pour découvrir que leur père a disparu et que toutes les fenêtres et portes de leur maison ont disparu.
L'AVIS :
Dans un lieu familier propre à notre foyer règne la menace innommable dissimulée dans l'espace insondable, qui étend ses épaisses ténèbres dans l'environnement intimiste d'une famille qui s'efface peu à peu dans une faille intemporelle où nulle issue ne peut être apercevable.
Avant d'expliquer en quoi ce cauchemar éveillé sera digne de figurer parmi les films d'épouvante les plus marquants de cette décennie, il serait d'abord nécessaire de définir ce sous-genre si particulier qu'est l'horreur analogique dont s'inspire directement "The House", initialement intitulé "Skinamarink". Apparue au début des années 2010 sur internet, dans la continuité de la creepypasta et du found-footage, l'horreur analogique délivre ses messages cryptiques sous fond d'enregistrements télévisuels afin d'intégrer la peur dans l'interruption narrative propre aux interférences, aux systèmes de communication ou à l'émission d'ondes électromagnétiques. Des titres tels que "Local 58" ou "Mandela Catalogue" ne seront d'ailleurs pas étrangers aux internautes amateurs de ce sous-genre minimaliste. Misant principalement sur le format résiduel de la pellicule détériorée, cet exercice de style simpliste use de son graphisme basse résolution marqué par le temps pour entretenir notre peur de l'effacement, qui nous ramène à celle de notre extinction, accentuant par conséquent l'inquiétante étrangeté que le mystère virtuel génère au travers de sa succession d'images portée par des narrations hermétiques. Au sein de l'industrie cinématographique, certains pourront se focaliser sur la cassette du film "Ring" afin d'avoir un aperçu populaire de ce à quoi pourrait ressembler ce genre bien spécifique.
De son côté, Kyle Edward Ball a décidé d'emprunter au surnaturel, les codes de l'expérience onirique afin de nourrir l'atmosphère de sa chaîne Youtube, Bitesized Nightmares, et, par extension, de son long-métrage "The House" avec un budget de 15 000 $. Inévitablement, le film divisera le public, car a contrario du cinéma d'horreur conventionnel, l'œuvre adopte une forme exclusivement abstraite, aussi bien dans son visuel que dans sa narration, à tel point que seule l'imagination du spectateur sera nécessaire pour compléter l'expérience.
Personnages en hors champ, entité évaporée dans l'atmosphère de la maison, absence totale de toute action manifeste, dialogues étendus dans un écho sans zone de provenance, crépitement du son, grain d'image hypnotisant ; tout y est pour que le système cérébral fasse le travail à la place de l'artiste, appelant le spectateur à entrer dans les recoins les plus sombres de son inconscient pour en extraire les fruits de sa peur instinctive et enfantine : la peur du noir, celle qui ramène à chacun sa potentielle condition de proie à la merci des prédateurs noctambules.
Que dire de cette extraordinaire expérience si ce n'est que l'intense oppression qu'elle nous fait ressentir ? Toute patience et persévérance face au vide sera récompensée par un sentiment d'angoisse viscéral que seule la paralysie du sommeil est capable de générer en temps hypnagogique ou hypnopompique. En effet, la pellicule dissimule quelques rares jumpscares d'une redoutable efficacité afin que l'anxiété ne soit pas provoquée sans raison. Et si l'absence de rythme et la longueur de l'œuvre provoquent chez vous la somnolence, aucune inquiétude... Fermez les yeux pour reposer vos rétines de temps en temps pendant que le métrage se poursuit, et vous verrez que l'illusion de vivre un cauchemar s'accentuera davantage lorsque votre corps s'alourdira pour s'endormir tandis que votre attention continuera de cibler l'ambiance du film avant que vos paupières ne se rouvrent finalement à l'écoute d'un dialogue, ou d'un bruit étrange surgissant de nul part ; des sons qui raisonneront aussi bien dans la pièce de votre salon de visionnage que dans votre tête. Ainsi, la sensation d'être immergé dans les sombres ténèbres taciturnes de ce métrage sera plus terrifiante que jamais et vous hantera même après le visionnage qui s'achève sur une bonne demi-heure d'effroi visuel jusqu'à sa dernière image insupportablement menaçante.
Grâce à la faculté de nous immerger dans une imagination crépusculaire, la vraie peur nous pénètre comme si les ténèbres voulaient nous avaler dans un ailleurs indéfinissable.
Nul doute que l'acceptation de se laisser porter par l'abstraction soit fondamentale pour apprécier cette lugubre expérimentation qu'est celle de notre peur intimiste. L'emprisonnement des enfants dans un environnement labyrinthique où seuls les jouets et animations télévisuels servent de distractions en attente d'un danger imminent nous place à leurs côtés sans que l'on puisse distinguer leurs mouvements, ni même leurs émotions. Les voix lancinantes accompagnées de bruits aléatoires ne seront que les seuls points de repère pour identifier un semblant de vie en ces lieux sinistres asséchés par un climat glacial.
Au final, le long-métrage de Kyle Edward Ball se familiarise beaucoup avec l'ouvrage "La Maison des feuilles", comme si ce dernier était adapté à la façon de Patrick Bokanowski à qui nous devons le spectral et expérimental film "La Femme qui se poudre" dont "The House" est un authentique descendant.
Cet inconfortable train fantôme vidé de toute substance ne demande qu'à s'enrichir de nos craintes les plus enfouies afin de faire miroiter notre degré de tension face à l'étrange, comme si les résidus spectraux ne rodaient en réalité qu'à l'intérieur de nos tourments les plus ancestraux.