Chambres rouges - les
Chambres rouges - les
Deux jeunes femmes, Kelly-Anne et Clémentine, se réveillent chaque matin aux portes du palais de justice de Montréal pour pouvoir assister au procès hypermédiatisé d’un tueur en série qui les obsède, et qui a filmé la mise à mort de ses victimes. Cette obsession maladive les conduira à tenter par tous les moyens de mettre la main sur l’ultime pièce du puzzle, qui pourrait permettre de définitivement confondre celui que l’on surnomme le Démon de Rosemont : la vidéo manquante de l’un de ses meurtres...
L'AVIS :
Après plusieurs courts-métrages, le réalisateur canadien Pascal Plante passe au format long dès 2017 avec "Fake Tattoos" puis avec "Nadia, Butterfly" en 2020, deux films que je n'ai pas vu. Son nouveau film, "Les Chambres Rouges", s'attaque au mythe des red rooms, ces pièces peintes en rouge dans lesquelles un bourreau exécute de manière atroce une jeune victime, le tout étant retransmis en direct sur le darkweb pour une poignée de pervers ayant payé le prix fort en crypto-monnaie pour assister à ces meurtres ultra-brutaux. Le terme général de snuff movie résonnera à l'esprit des fans de cinéma de genre qui se remémoreront le visionnage des deux premiers volets de la saga japonaise des "Guinea Pig", de "Tesis" d'Alejandro Amenabar, de "8MM" de Joel Schumacher ou de l'ultra-violent "American Guinea Pig" de Stephen Biro entre autres. Ceux qui préfèrent la lecture n'hésiteront pas à dévorer l'excellent et ténébreux roman de Cédric Sire, La Saignée, qui met en scène une passionnante enquête policière afin de débusquer le bourreau qui sévit dans une red room particulièrement sordide. Un roman dont certains chapitres font écho au film de Pascal Plante et dont vous pouvez retrouver la chronique sur le site.
Outre la thématique des snuff movies et des red rooms, "Les Chambres Rouges" traite également de la fascination que les tueurs exercent auprès de leurs groupies, ce n'est pas le récent cas de Nordahl Lelandais qui viendra me contredire puisque ce dernier est devenu papa alors qu'il était en prison, ayant rencontré sa femme durant son incarcération à perpétuité. Le film de Pascal Plante nous en présente deux : la solitaire et méthodique Kelly-Anne, superbement interprétée par l'actrice Juliette Gariépy, et Clémentine (Laurie Babin), une jeune femme un peu déboussolée qui est littéralement sous le charme du présumé tueur et bourreau d'une red room, à savoir Ludovic Chevalier (Maxwell McCabe-Lokos). Pour Clémentine, il est impossible que Ludovic Chevalier ait commis les crimes pour lesquels on l'accuse. Sans jamais l'avoir rencontré, elle est totalement persuadé de son innocence, remettant en cause les allocutions de l'avocate des victimes. Plus déroutante est la seconde groupie du film, Kelly-Anne, une hackeuse dont on ne comprend pas les réelles motivations jusqu'au tétanisant final qui possède des images mettant assez mal à l'aise.
L'intelligence de Pascal Plante est d'avoir fait de son film "Les Chambres Rouges" l'antithèse de ce qu'on était en droit d'attendre d'une œuvre traitant ces sombres sujets. Pas une fois le réalisateur ne plonge dans la complaisance gratuite ou dans le débordement visuel gore. Ici, tout est suggéré, mis en exergue par les dialogues (le début du film se déroule dans la salle d'audition et la plaidoirie de l'avocate des victimes mais aussi de l'avocat de la défense met de suite dans l'ambiance...), par le travail sur le son (lorsque les deux vidéos des red rooms sont montrées au membres des jurés ainsi qu'aux familles, nous ne verront aucune image, on se contentera, via Clémentine, d'entendre les cris d'agonie des deux jeunes filles massacrées et mutilées par le bourreau, ce qui ne manquera pas de mettre mal à l'aise), par le travail sur la bande sonore composée par Dominique Plante et par le comportement troublant des deux groupies bien sûr. Le comportement de Kelly-Anne nous vaudra une séquence particulièrement malaisante, dans laquelle la jeune femme se déguise comme l'une des victimes de Ludovic Chevalier et vient ainsi au tribunal, espérant provoquer une réaction du sinistre individu. Perturbant au plus haut point.
Habile, Pascal Plante distille une atmosphère souvent sordide et éprouvante, le tout avec une grande retenue, ce qui donne à son film un impact et un intérêt certain. Le film n'est certes pas exempt de menus défauts - certaines scènes entre les deux groupies peuvent paraître un tantinet trop longues parfois et auraient méritées d'être plus concises - mais cette plongée dans les tréfonds les plus sombres de l'âme humaine mérite assurément d'être vécue tant elle est souvent fascinante, notamment grâce à l'écriture subtile du personnage de Kelly-Anne, qui est réellement complexe et intrigant.
"Les Chambres Rouges" laisse un goût amer dans la gorge et nul doute que le public non initié soit déstabilisé par cette incursion dans le mal absolu qui gangrène la partie méconnue d'internet. Encore une preuve que la suggestion peut se montrer plus efficace que la démonstration à grand coup d'image sanguinolente.