Marque du vampire - la
Mark of the vampire
Dans un village reculé d'Europe centrale, un noble, Sir Karell Borotyn, est retrouvé mort avec deux marques de ponction dans le cou. Tout semble indiquer que le forfait a été commit par des vampires, et plus particulièrement par le duo de créatures nocturnes formé par le Comte Mora et sa fille Luna. Une équipe composée d’un professeur et d’un inspecteur est chargée de résoudre le mystère. Ils découvrent que le meurtre semble lié à une ancienne légende et à une malédiction sur la famille de la victime, mais les apparences sont trompeuses…
L'AVIS :
Malgré le succès de son chef-d’œuvre "Dracula" sorti en 1931, qui, rappelons-le, avec un coût final de $441,984.90, a rapporté $700,000 sur le territoire US et $1,2 million à l’international et a permis de stabiliser les finances d’Universal, qui a pu réaliser un profit uniquement sur cette année dans un contexte de crise (« grande dépression » de 1929), les sorties suivantes de Tod Browning n’ont pas exactement été des succès financiers.
Entre Dracula (1931) et Mark of the Vampire (1935) Tod Browning réalise : Iron Man (1931), Freaks (1932) et Fast Workers (1933). Iron Man fût sa dernière production sous contrat Universal. Une histoire de boxe très peu inspirée, qui relève davantage de la commande réalisée dans le cadre d’une obligation contractuelle qu’autre chose. Browning a annoncé la signature de son contrat pour 3 films avec la MGM dès la sortie de Dracula, sans même attendre celle d’Iron Man.
La MGM proposa à Browning d’adapter Arsène Lupin, mais ce dernier montra peu d’enthousiasme (et on le comprend !) préférant adapter la nouvelle « Spurs » qui est une histoire de revanche dans un cirque avec un nain (il est vrai que c’est tout de suite plus excitant). Je passe les détails (pourtant fort intéressants), mais ce travail aboutira à la réalisation de Freaks, bien évidemment. Trop radical et trop en avance sur son temps, sa sortie est catastrophique.
S’en suit la volonté d’adapter la pièce de théâtre « Rivets » : là encore, refus des administrateurs du Code. Il s’agissait d’une sombre histoire d’amitié et de triangle amoureux. Du fait de problèmes de timing, le film, sous le nom de « Fast Workers » est en production sans que son script ne soit approuvé par le Code Hays. Will Hays demanda le retrait de certains dialogues du film – demande ignorée par la MGM. Ce fût le film le plus onéreux de Browning, avec un budget de $525,000. Échec commercial puisqu’il perdit $360,000. Après ces deux désastres, la MGM voulu tenir Browning éloigné de tout ce qui touche de près ou de loin au macabre.
Il arrive tout de même à les convaincre de le laisser réaliser un film qui recyclerait des éléments de ses deux films ayant eu le plus de succès : l’histoire de London after Midnight (1927) et des éléments variés (atmosphère, personnages…) issus de Dracula. Un peu échaudé, le studio accepte, à condition que le salaire de Browning soit réduit de moitié (soit $25,000 pour ce film – son contrat initial prévoyait $50,000 par film). Il a été payé $1 pour le story concept. Bélà Lugosi quant à lui, a été payé $3,000 sur ce film : sous-payé, comme tout au long de sa carrière. Le second affront ayant été fait à ce dernier était bien évidemment d’être crédité en troisième place au générique, après Lionel Barrymore et Elizabeth Allan dont personne ne se souvient.
Nous en arrivons donc à Mark of the Vampire, dont le tournage a débuté le 12 janvier 1935. Sa durée prévue était de 24 jours. Son coût final fût de $305,177.90. Il s’agit d’une histoire d’enquête à la suite d’un meurtre. Cette dernière est menée par le Professeur Zelin (interprété par Lionel Barrymore) qui est adepte de sciences occultes et autres méthodes peu académiques et de l’inspecteur Neumann (Lionel Atwill). A priori, tous les signes indiquent que le meurtre a été perpétré par un vampire. Les vampires en présence sont le Comte Mora et sa fille Luna. Ils sont interprétés par Béla Lugosi qui revêt à nouveau la cape – qui lui va à ravir – et Carroll Borland. Il s’agit du troisième film réunissant Tod Browning et Béla Lugosi. Ils ont collaboré précédemment sur The Thirteenth Chair (1929) et bien entendu sur Dracula.
Pour écrire son script, Browning a eu principalement recourt à Guy Endore, connu pour être l’auteur de « The Werewolf of Paris » (1933). Son premier traitement était bien plus audacieux, et on peut regretter qu’il soit passé à la trappe : ici le Comte Mora présentait une blessure de balle sur la tempe (toujours présente dans le film, ce qui crée une incohérence – mais j’y reviendrais plus tard) car il se suicida après avoir tué sa fille Luna avec qui il entretenait une relation incestueuse. Malgré un rôle quasi muet, Carroll Borland était particulièrement ravie de pouvoir interpréter ce rôle après que des actrices du calibre de Rita Hayworth aient été refusées. Le fait d’idolâtrer Béla Lugosi et de pouvoir jouer à côtés a sans doute également contribué à son enthousiasme. En effet, cette dernière a pu voir Béla interpréter Dracula sur scène pendant la production de Broadway. Elle a écrit une suite à cette pièce intitulée « la comtesse Dracula ». Lugosi et Borland sont à la suite devenus amis et ont eu une relation a priori platonique, selon Carroll. Cependant, Béla à cette époque était entre sa femme n° 3 et n°4, et Carroll le décrivait constamment comme étant « fascinant et magnifique ». Vu la personnalité de Monsieur, on peut douter de cette théorie. Ils s’écrivaient fréquemment et longuement, et les lettres étaient très certainement rédigées par Lilian, la secrétaire de Béla qui est devenue sa femme (c’était la minute gossip). Un travail important de maquillage et de costume a été réalisé pour son personnage de Luna.
En effet, l’apparence du vampire masculin, devenue depuis le standard du genre, avait déjà été établie par Lugosi, dès son interprétation en 1927 de la pièce de théâtre Dracula, écrite par Hamilton Deane en 1924. Ce n’était bien évidemment pas le cas pour le look du vampire féminin. De plus, Browning a souhaité recréer une scène importante de London after Midnight : Luna devait voler dans les airs, attachée par des câbles à un système de rails accrochés au plafond. Ses ailes de chauve-souris ont quant à elles été confectionnées par un taxidermiste local. Ce plan périlleux, d’une durée de 4 ou 5 secondes tout au plus dans le film, a ainsi pris un jour et demi à être tourné. Sur le plan du scénario, pendant le tournage, toutes les références à la blessure du Comte ou à sa relation incestueuse avec sa fille Luna ont été supprimées. En conséquence, cette blessure est visible à l’écran mais reste inexpliquée. D’ailleurs, cette blessure est le seul élément réalisé par l’équipe maquillage sur Béla Lugosi, ce dernier effectuant le reste de son maquillage lui-même, comme sur le tournage de Dracula.
Malgré sa durée inférieure à une heure (raccourci d’environ 15 minutes juste avant sa sortie), le film réussi à dérouler son histoire d’enquête policière, tout en maintenant habilement l'illusion et la tromperie, car on se rend compte que les vampires ne sont peut-être pas ce que l’on croit. Ce jeu de mystère et de suspense fait le charme du film, qui mélange horreur, thriller et une certaine dose de folie macabre.
Browning fait ici encore preuve de toute sa capacité à mélanger l’horreur avec une touche de mélancolie et de poésie. Mark of the Vampire reste l'une de ses œuvres emblématiques, où l'illusion du vampirisme et l'atmosphère macabre sont magnifiquement exploitées. Initialement prévu sous le titre de « Vampires of Prague », Mark of the Vampire est clairement un remake de London after Midnight. Cependant, dans ce dernier, le personnage de Chaney qui était un détective-vampire a été divisé en deux : le professeur Zelin (Lionel Barrymore – qui surjoue ici grossièrement et tire le film vers le bas) et le Comte Mora. L’histoire est similaire.
Il est tout de même très dommageable que le film ait été autant raccourci et que l’histoire de base ait été autant censurée, engendrant un twist final assez décevant. Opportunité manquée qui aurait pu faire passer un bon film qui ne présente pas d’originalités lui permettant de sortir significativement du lot, à un film d’un tout autre calibre. Ce twist final était d’ailleurs inconnu des acteurs jusqu’à la fin du film. Le procédé semble si étonnant qu’on peut douter de ces dires, mais les dernières pages ajoutées au final shooting script datent du 18 janvier, ce qui semble rendre cette théorie cohérente et crédible. Universal a tenté une action en justice pour violation du droit d’auteur, du fait des similarités avec Dracula. Malgré les efforts de ces derniers, le film sorti tout de même – sans doute grâce au twist final justement – qui différencie drastiquement les deux productions. Mark of the Vampire a ainsi connu des critiques très positives dans leur ensemble. Il a pu générer un profit de $54,000. Ce succès, bien que modéré, a ainsi permis de renforcer la réputation de Browning au sein de la MGM.
Mark of the Vampire demeure un film fascinant qui illustre à la fois le talent de Tod Browning et la présence magnétique de Béla Lugosi. En fusionnant des éléments de mystère, de suspense et de fantastique, le film continue d'être une référence du genre, consolidant ainsi la place de ses créateurs dans l'histoire du septième art.