Fantasia

Fantasia

Quand la musique classique se joint aux images et à des scénettes aussi vives que colorées : sonorités retranscrites en couleurs et formes, parade de créatures mythologiques, ère cruelle des dinosaures, déchaînement des démons de l'enfer, animaux maladroits mais gracieux pratiquant la danse classique, nature soudainement vivante, magie et vilain sorcier…

FANTASIA | FANTASIA | 1940

D'un rare optimisme et d'une imagination sans bornes, Walt Disney revient pour la troisième fois à la production avec une œuvre unique dans l'histoire du cinéma d'animation, reposant par ailleurs sur un concept tout à fait révolutionnaire pour l'époque : accoupler les derniers miracles de l'animation avec les grands classiques de la musique, tout simplement.

Disney ne veut en aucun cas s'adresser à tout prix aux enfants avec ses productions, mais au public de tout âge. Car si chansons ou personnages enfantins il y a, on note des touches fantastiques parfois très sombres émanant en grande partie du fameux grand vilain (ou grande vilaine éventuellement). Pas d'histoire donc pour "Fantasia" (ah quel beau titre !!), juste un concept, à l'époque mal digéré par le public et la critique. On s'ennuie ferme ou on proteste pour mauvais goût souvent, on reste émerveillé et bluffé parfois : faut-il le voir avec les yeux d'un enfant ? Pas nécessairement, puisque "Fantasia" risque de rebuter de nombreuses chères têtes blondes, qui auront du mal à rester scotché face à ce spectacle aussi mature que sensiblement "différent".

"Fantasia" n'est cependant pas parfait, et son intro consistant à faire prendre forme une grande gamme de sons ou d'instruments tape en grande partie sur les nerfs. On peut apprécier évidemment, mais l'exercice est surtout (voire trop) expérimental. Le film débute réellement avec "Le ballet de casse-noisettes" où la nature entière se libère aux sons de la musique. Là encore, on hésite entre l'ennui et la fascination, et on retiendra en grande partie la charmante danse des champignons (le passage dans le monde marin étant assez… laid il faut le reconnaître!), se révélant d'une fluidité impeccable.
"L'apprenti sorcier" est le segment le plus connu de "Fantasia", le plus légendaire, le plus disneyien (Mickey oblige !) et le plus remarqué. En empruntant et testant les pouvoirs magiques de son maître (la touche fantastique qui s'en dégage est tout à fait inquiétante), le gentil Mickey Mouse met une armée de balais en marche, malheureusement totalement incontrôlable. Entre la Fantasy pure et le merveilleux (le fameux ballet cosmique), et une attaque de balais vivants mémorable (peut-être même dérangeante quelque part), Disney nous en met plein les yeux et commence bel et bien à captiver son spectateur.

Pour illustrer la douloureuse ère des dinosaures et la création de la Terre, c'est "Le sacre du printemps" qui est choisi : pas de quoi s'affoler, Disney fait beaucoup trop long et seul un cruel combat sous la pluie surprendra un tant soit peu le spectateur. Tout n'est pas à jeter loin de là, c'est même assez spectaculaire, mais le film nous donnera bien mieux par la suite. On enchaîne directement sur le segment le plus coloré et le plus mignon du film (autant le dire franchement hein !), à savoir "La symphonie pastorale", où le paradis de la mythologie antique s'anime sous nos yeux. On regarde la séquence avec plaisir, laquelle se déroule d'ailleurs avec harmonie et magie. C'est beau, simple, c'est du Disney tout simplement.
Très apprécié aussi, "La danse des heures" reste le segment le plus cocasse et le plus drôle du film, bien connu évidemment pour son ballet d'autruches très cruches, d'hippopotames très lourdes et de crocodiles bien sournois. Les adultes et les enfants peuvent enfin venir voir et se laisser emporter dans un tourbillon de légèreté, de gags et de fraîcheur.

Mais à présent, passons aux choses sérieuses. Ce qui est sans doute LA chose qui m'a donné envie de parler de "Fantasia" c'est sans conteste le segment de "La nuit sur le mont chauve". Un titre qui intrigue, fait frissonner même, et qui annonce plutôt bien la suite des événements. De tels moments de terreur ou de fantastique dans une production Disney, c'est rare mais souvent appliqué et efficace : tempête menaçante dans "Le vieux Moulin", levée subite de morts-vivants pas frais dans "Taram et le chaudron magique", femme pieuvre proprement sadique atteinte de gigantisme dans "La petite sirène", vision de la rivière Styx dans "Hercules", château gothique dans "La belle et la bête", mort particulièrement brutale de la sorcière dans "Blanche neige et les sept nains"…

Une grande montagne surplombe un petit village endormi : la nuit est brumeuse et noire, un démon émerge du lieu et réveille les forces du mal. La nuit de la Toussaint? Très probablement…
Le Lord of Darkness de "Legend" se souviendra longtemps de ce Méphisto ailé et belliqueux, faisant lever les cadavres de leurs tombes, les démons de l'enfer, et les spectres de l'obscurité. Un sabbat brûlant et agité, où le cruel Lucifer transforme et tue ses créatures à loisirs.

Malgré le poids conséquent des années et une animation inégale, le passage continue encore de susciter une petite poignée de frissons. En plus d'une musique en parfaite adéquation avec la séquence (chaque créature équivaut à une sonorité ou à un instrument particulier), Disney laisse passer un gros plan furtif sur la poitrine voluptueuse d'une harpie et ne laisse échapper aucune once d'humour ou d'ironie. C'est monstrueux, dans tous les sens du terme.

Et malgré cette apothéose fulgurante et cruelle, "Fantasia" se terminera par un "Ave Maria" aussi ridicule que immobile (et inutile en plus) et d'une nouvelle séance de "sonorité visuelle" qui aurait bien fait d'être absente pour de bon. Alors "Fantasia", chef d'œuvre ? Pour beaucoup oui, mais il faudra souligner quelques lacunes l'empêchant de l'être totalement. Reste un spectacle sublime, qui vaut au moins d'être vu pour ce dernier véritable segment aussi sombre qu'apocalyptique.

FANTASIA | FANTASIA | 1940
FANTASIA | FANTASIA | 1940
FANTASIA | FANTASIA | 1940
Note
5
Average: 4.2 (1 vote)
Jérémie Marchetti