Enter the deep
Enter the deep
Un étudiant en informatique réalise sa thèse sur le deep web et découvre un étrange réseau caché intitulé "La Liberté". Pour y accéder, il rencontre un hacker et devient son ami...
L'AVIS :
Sachez que pour visionner l'intégralité de ce film, j'ai été forcé de me rendre... sur le deep web. C'est à dire que j'ai dû taper un mot de passe sur un lien privé fourni par le distributeur du support physique afin d'accéder au lien de visionnage. Car, voyez-vous, outrepassés les fantasmes adulescents d'un univers sombre et déchéant que renfermerait le "web profond", le deep web n'est en réalité que l'ensemble des sites non indexés par les moteurs de recherche, souvent protégés par une page d'authentification. Boîtes mail, espaces personnels, comptes bancaires etc... Tout cela se trouve sur le deep web, souvent exagéré dans sa représentation populaire où l'imaginaire collectif, fortement influencé par les traditions judéo-chrétiennes, modernise la peur de l'inconnu, du sous-terrain chtonien et de l'occulte en fonction des faits divers des années 2000-2010 qui ont permis de médiatiser, et ainsi populariser, l'existence du deep web. Comme il en est d'ailleurs du dark web (espace d'anonymat et de liberté d'expression souvent utilisé par les journalistes, investigateurs, lanceurs d'alerte) ou du darknet (qui n'est autre que le réseau qui permet d'accéder au dark web).
Web profond, web sombre, réseau sombre, comment en vouloir à la population avide de sensationnalisme de nourrir leurs cauchemars attractifs quand l'usage de pareils termes nous évoquent immédiatement le marché noir, la mort et la menace prédatrice ?
Dans la mythologie occidentale, où tout se qui est enfoui sous terre est porteur de danger et de maléfice, l'espace occulté qui absente toute lumière devient un cabinet de réflexion initiatique dans lequel la peur et le doute nous envahissent, dans lequel nulle échappatoire s'offre à nous, dans lequel l'obscurité et l'indicible menace nous scrutent depuis des ténèbres insondables...
Pourtant, la réalité est tout autre... ou du moins plus nuancée. Même si le trafique de drogue, la pornographie illicite et les snuff vidéos en tout genre sont trouvables sur l'internet de notre quotidien, ces catégories sont souvent mentionnées aux côtés de légendes urbaines (red rooms, snuff movies, vente d'enfants, d'organes etc...) afin de faire du deep web et du dark web des espaces maudits où règnent mille et un cryptides que l'on ne saurait nommer, des endroits fiévreux semés d'effroi où trône l'insanité la plus insoutenable. Et à partir de ces fantasmes du 21ème siècle sont produits des films d'horreur (voire extrême) pour satisfaire les attentes de l'internaute lambda. "Unfriended : Dark web", "Intraçable", "Terreur.com" pour les plus mainstream. "XXX Dark Web", "Deep Web XXX" ou quelques dark mixtapes pour les plus underground. Et, bien sûr, "Enter the deep".
Ce film obscur, inconnu de tous, récemment édité par Sadique-Master, n'est autre qu'une sombre escapade dans l'intimité d'un jeune informaticien, porté par la rédaction d'une thèse sur le deep web, et condamné à errer dans les galeries les plus caverneuses de l'iceberg virtuel. Un voyage isolateur qui enfermera notre pèlerin dans une spirale inquiétante et malsaine, descendant là où la mort et la perversion seront légion, là où les abysses côtoient les enfers.
L'absence de réflexion et de profondeur laisse place à l'immersion psychologique, à l'expérience du silence, du vide, de la solitude, et de la mort sociale. Niveau par niveau, les échelons sont gravis, le degré de curiosité s'intensifie et le matériel consommé franchit un seuil nouveau dans le tabou.
La caricature du deep web, souvent amalgamé au dark web, s'alimente de différentes étapes. La première s'inscrit dans le cadre de la creepypasta, où quand une vidéo étrangement saccadée laisse apparaître des fragments de lieux sordides et de silhouettes humanoïdes sous un montage erratique, presque hystérique, mais toujours insensé. Ce sont ces fameuses "vidéos maudites" qu'il est déconseillé de visionner intégralement sous peine de subir une malédiction inconnue, mais qui, en vérité, ne sont que des projets artistiques edgy ou artifices opportunistes permettant la mystification de l'inquiétante étrangeté ludique. L'esthétique du malaise laisse supposer que le deep web renfermerait ce qu'il y a de plus inaccessible au regard de la compréhension humaine, comme si chaque contenu étrange provenait d'une dimension inconnue et insalubre.
Le fantasme populaire représenté dans "Enter the deep", où on ne récolte que ce que l'on recherche, se sert de la peur de l'inconnu comme moteur narratif. Psychologiquement, l'être humain projette ses peurs sur ce qu'il ne peut voir, ni comprendre, quitte à imaginer ce qu'il y a de pire. Et, malgré la neutralité de l'espace virtuel, on y trouve évidemment des boîtes noires dans lesquelles reposent des contenus repréhensibles, que l'on peut pourtant retrouver sur le net standard sans farfouiller les zones sombres à l'aide de Tor ou autre navigateur alternatif. C'est pourquoi le prochain échelon conduira notre informaticien vers des vidéos d'exécutions et d'accidents. Des vidéos réelles et célèbres que les anciens visiteurs de sites gore tels que Bestgore ou Rotten.com reconnaîtront immédiatement, mais que le film a choisi de flouter ou filtrer afin de tutoyer les limites de la légalité sans franchir le seuil de l'interdiction. Mêlée à cette sélection une scène de ça-va-ça-vient (fictive) si poisseuse qu'elle nous rappelle les scènes obscures de "The Poughkeepsie tapes" ou les faux snuff de Renegade Video. Puis, après le face à face avec la mort violente et la vulnérabilité du corps, une étape est désormais franchie, et la fascination laisse de côté la peur pour inviter la pulsion en consommant du contenu charnel illicite. L'utilisation d'un subterfuge (mineurs en maillot de bain superposés par des majeurs en nu intégral) permet astucieusement d'être explicite dans ce que le film souhaite nous montrer inconsciemment. L'exposition de la pulsion paraphilique dans laquelle s'embarque le personnage le confortera jusque dans le plaisir solitaire.
Aussi simpliste et peu réflectif soit-il, "Enter the Deep" est une proposition de descente aux enfers avant tout psychologique, un aller simple sur l'intimité d'un homme parmi tant d'autre, s'abandonnant à la découverte de l'interdit comme si s'y confronter était un élan de liberté. Mais l'Homme n'est libre que s'il est responsable de ses actes et de ses choix. Hélas, la thèse est délaissée au profit du plaisir destructeur et vampirique. Telle est la hantise de tout consommateur ensorcelé par leur addiction silencieuse, leur attrait obsessionnel pour l'interdit pimenté, excentré de toute convention considérée comme aseptisée malgré qu'elles garantissent la sécurité.
Sans extravagance ni exagération, sans superficialité ni prétention, ce moyen-métrage d'une petite heure se concentre sur l'essentiel, se rendant efficace sans besoin d'être sensationnaliste. Il s'impose comme le miroir d'une génération d'internautes envoutés par le mystère virtuel, comme si le deep web héritait des mythes et superstitions de plusieurs siècles pour cristalliser l'irrationnelle peur de ce qui est caché, et l'angoisse profonde que l'invisible possiblement visible procure en nous.
* Disponible en DVD sur la boutique Sadique-Master
https://www.sadique-master.com/product-page/enter-the-deep-dvd