Dark song - a
Dark song - a
Sophia Howard, une femme marquée par le deuil, loue une maison isolée au Pays de Galles. Son but : réaliser un rituel de l’Abramelin, une cérémonie occulte censée lui permettre de contacter son ange gardien et d’exaucer son vœu le plus cher. Pour l’aider, elle engage Joseph Solomon, un occultiste aussi misanthrope qu’exigeant. Commence alors une ascèse éprouvante : isolement total, restrictions alimentaires, purifications incessantes. Entre Sophia et Solomon, la relation se dégrade rapidement. Elle doute, il tyrannise. Mais tandis que la tension monte et que le rituel semble tourner à vide, des phénomènes troublants commencent à se manifester. Quelque chose les observe. Quelque chose attend son heure...
L'AVIS :
Un manoir reculé, un pacte scellé dans la douleur, une obsession qui consume. A Dark Song ne se contente pas de raconter une histoire d’occultisme : il la fait ressentir, avec toute sa pesanteur, sa rigueur et son angoisse latente. Liam Gavin, pour son premier long-métrage, plonge dans la lente agonie d’un rituel magique, où le sacré et le profane s’entrechoquent jusqu’à l’épuisement.
L’enfermement volontaire – Un pacte de douleur
Si Sophia s’enferme, c’est pour une raison qui la hante : elle veut parler à son fils mort, chercher une justice surnaturelle que le monde réel lui refuse. Son deuil est un poison qu’elle transforme en obsession, prête à toutes les humiliations pour parvenir à son but.
Solomon, lui, se prête au jeu pour des raisons moins limpides. Il joue au maître, impose ses règles avec un sadisme parfois gratuit, mais derrière son autorité, on devine un homme usé, qui cache son propre désespoir. Il parle d’une dette karmique, d’une faute à expier. Il ne fait pas le rituel pour Sophia – il le fait aussi pour lui, peut-être pour prouver qu’il est encore capable de toucher quelque chose de sacré.
Dans A Dark Song, l’isolement devient un miroir déformant : ce qu’ils invoquent, ce ne sont pas seulement des entités, mais leurs propres abîmes.
L’épreuve du réel
Liam Gavin épouse le point de vue de Sophia, et avec elle, nous doutons. Rien ne garantit le succès du rituel, rien ne prouve que Solomon n’est pas un charlatan sadique. La peur se niche dans l’incertitude : ces bruissements dans la nuit, ces ombres furtives, sont-ils réels ou le fruit de l’épuisement ? A Dark Song joue sur l’attente, l’accumulation de tensions minuscules, la frustration. Pas d’effusions, peu d’effets spectaculaires, mais une montée en puissance implacable.
Ce réalisme rugueux sert un propos essentiel : le rituel n’est pas un raccourci vers la révélation, il est une traversée du désert. Un voyage dans l’abnégation, où chaque étape est une souffrance consentie. La terreur ne vient pas tant de l’irruption du surnaturel que de la lente déconstruction des certitudes de Sophia.
Le rituel d’Abramelin – Une magie d’endurance
Le rituel central du film s’inspire d’un véritable processus ésotérique tiré du Livre d’Abramelin, un grimoire du XVe siècle attribué à un mage égyptien. Ce rituel hermétique, popularisé par l’Ordre hermétique de l’Aube dorée et Aleister Crowley, promet la rencontre avec son Saint Ange Gardien après des mois de purification et de prières.
Sa complexité est redoutable : isolement prolongé, diète stricte, récitations incessantes de psaumes et d’invocations. Mais ce qui fait sa dangerosité, c’est son exigence absolue : une seule erreur, et l’opération peut échouer ou, pire, attirer des entités malveillantes. Dans A Dark Song, cette rigueur devient un instrument de tension narrative, transformant le rituel en une épreuve quasi-masochiste où chaque instant de faiblesse peut condamner les protagonistes.
La grâce et l’horreur
L’horreur, ici, n’a rien de cathartique. Quand elle explose, elle le fait dans un chaos indistinct, sans libération immédiate. Ce n’est qu’à l’ultime seuil que le film ose un basculement vertigineux. Après la violence, l’humiliation et le doute, reste la possibilité du divin. Un moment de pure sidération, où l’indicible s’offre enfin à Sophia – et à nous.
Là où tant de films d’horreur choisissent la damnation, A Dark Song préfère l’élévation. Mais pas sans douleur. Pas sans sacrifice. Une épreuve qui exige d’aller au bout de l’enfermement, au bout de l’obsession, jusqu’à s’anéantir pour renaître autrement.
Reste que cette ouverture vers la transcendance, aussi audacieuse soit-elle, laisse un arrière-goût d’inachevé. Après une telle tension, un tel enfermement, la résolution paraît presque trop simple, trop apaisée, comme si le film hésitait à aller jusqu’au bout de son propre vertige.