Tusk
Tusk
Wallace Bryton est un podcaster reconnu aux Etats-Unis. Avec son ami, Teddy, ils sont toujours à la recherche d’un personnage insolite à interviewer pour leur émission. Cette fois, Wallace se rend au Canada pour discuter avec un jeune homme qui s’est accidentellement coupé la jambe avec un sabre. Mais alors que son rendez-vous est annulé, il trouve une solution de secours en se rendant chez un certain Howard Howe, vieil aventurier passionné par les morses.
Kevin Smith est un réalisateur à part. Roi de la comédie salace et geek dans les années 90 et 2000 (« Clerks », « Jay et Bob contre-attaquent », « Zack et Miri font un porno »), il effectue un virage à 180° dans sa carrière, en 2012, en réalisant un film d’horreur radical et réussi intitulé "Red State". Dans ce film, Smith narre l’histoire de trois jeunes qui font la rencontre, sur un site internet, d’une femme mûre. Motivés par l’attrait sexuel, les garçons se rendent jusqu’au domicile de la femme et se retrouvent victimes d’un piège tendu par une secte. Avec "Tusk", son nouveau film, Kevin Smith continue dans le même registre. "Red State" et "Tusk" ont d’ailleurs plusieurs points communs : les héros sont guidés par leur vice (le sexe dans "Red State", la célébrité et l’argent dans "Tusk"»), la rencontre par le biais d’une annonce, le guet-apens…
Dans "Tusk", Kevin Smith, fidèle à lui-même, injecte aussi une grosse dose d’humour et fait mouche quasiment à chaque coup. Que ce soit avec les running gags sur les différences USA/Canada ou avec ses personnages complètement décalés (Guy Latouche, une merveille !), Smith n’a pas perdu son sens de la blague même en changeant de registre. Il faut dire qu’il est bien aidé par des acteurs complètement à l’aise dans des rôles délirants : le très rare Justin Long interprète avec talent une enflure attirée par la célébrité et qui n’a aucune gêne à se moquer de ses « invités » afin de faire de l’audience, Haley Joel Osment (le petit garçon de "A.I." et "Sixième sens" qui a bien grandi) est parfait en meilleur pote hilare. N’oublions pas non plus, Michael Parks, déjà responsable d’un monologue inoubliable dans "Red State", qui a vraiment un don pour interpréter les personnages déviants et qui joue ici le tortionnaire du héros : Howard Howe.
Dernier rôle haut en couleur, celui du responsable de la sûreté Canadienne : Guy Latouche, personnage complètement allumé et drôle interprété par un acteur bien connu qui est ici, quasiment méconnaissable. Je vous laisse le soin de deviner qui c'est. Dernier rôle important, celui de la petite amie de Wallace : Ally, interprétée par Genesis Rodriguez, est un peu la voix de la raison et le seul personnage doué d’un minimum de bon sens dans toute cette galerie. Le point fort de ces personnages est qu’ils sont ancrés dans la réalité et ont des défauts que tout un chacun pourrait avoir et ce, malgré leur côte allumé. A part le cartoonesque Guy Latouche, tous les autres sont potentiellement des êtres humains normaux, et c’est sûrement ça qui fait le plus peur !
Au niveau de son intrigue, "Tusk" a des similitudes avec "The Human Centipede", autant dans le déroulement de son histoire que dans le malaise qu’il peut provoquer. Car oui, même si on se marre bien devant "Tusk", on est aussi souvent mal à l’aise face à ce qui arrive à Wallace. Les images chocs, même si elles ne sont pas légions, sont suffisamment bien amenées pour être perturbantes. Pour un spectateur peu habitué à ce genre de films, le tout peut même paraître complètement surprenant et désopilant. En plus de ses côtés purement comiques et « freak show », « Tusk » parcourt aussi des thèmes plus profonds comme la course à la célébrité, les relations humaines et les différences entre les hommes et les animaux. Ce qui fait aussi le point fort du film de Smith est sa faculté à capter les errements de la génération actuelle. Que ce soit les personnages principaux ou ceux plus secondaires, tous semblent complètement paumés dans ce monde qui marche à l’envers. Un reflet du monde réel qui fait froid dans le dos.
Malgré toutes ces qualités, tout n’est pas parfait dans « Tusk » et il souffre même d’un souci qui l’empêche d’atteindre les sommets auxquels il aurait pu prétendre : le manque de rythme. En tant que grand amateur de dialogues et de textes, Smith n’hésite pas à faire réciter de longs discours et à faire durer des échanges verbaux plus que de raison. Même écrit avec talent et bien interprété, le scénario de Smith est tout de même trop bavard et risque d’ennuyer une partie du public dont l’aspect complètement décalé peut potentiellement déjà laisser sur le carreau. C’est un peu le seul gros reproche que l’on pourra faire à « Tusk », tant le reste est de qualité si on aime un tant soit peu le cinéma de Kevin Smith. Clairement, si vous n’êtes pas fan de films décalés et de l’humour de l’auteur de Jay & Bob, vous risquez de déchanter rapidement.
Avec son scénario plus intelligent qu’il n’y paraît, ses dialogues ciselés, ses personnages charismatiques et son histoire complètement dingue, "Tusk" est, dans son genre, une réussite. Si vous arrivez à supporter certains passages un peu ennuyeux et si, en règle générale, vous adhérez au cinéma de Kevin Smith alors vous venez de faire une bonne pioche. Une chose est sûre, "Tusk" est bien placé pour être sur le podium des films les plus barrés de l’année.
* Visionné lors du PIFFF 2014