Scarlet blue
Scarlet blue
Alter, la quarantaine, souffre de dépression et d’épisodes schizophréniques accompagnés de pulsions charnelles. Paranoïaque, Alter se sent observée nuit et jour par une présence. Rosy, sa maman aimante, est son seul point d’ancrage avec la réalité. Malgré leur amour immense, ce duo mère-fille n’arrive pas à communiquer, chacune reste étrangère à l’autre et se sent incomprise et esseulée. Depuis sa tentative de suicide, Alter consulte dans une grotte isolée un guérisseur étrange, Léandro Lecreulx, qui pratique une hypnose mystique. Les méthodes singulières de Léandro sont efficaces. À chaque séance, il s'infiltre de plus en plus profondément dans l'inconscient de sa patiente et la connecte à ses peurs infantiles les plus enfouies. Léandro confie à Alter un appareil photo Polaroid, pour prendre des photos avant et après chacune de ses crises comportementales. Les polaroids aideront Alter à reconstituer le puzzle de ses pertes de mémoire...
L'AVIS :
La charmante Réunionnaise Aurélia Mengin poursuit son petit bout de chemin dans le cinéma de genre indépendant, après plusieurs courts-métrages débutés dès 2009 puis son premier long-métrage, "Fornacis", réalisé en 2018 et dont vous pouvez trouver la chronique sur le site. Aurélia Mengin a un univers bien à elle, qui trouve sens dans des thématiques telles l'errance, l'ennui, la difficulté des relations entre êtres humains, le traumatisme infantile, le thème du double également. Son second film, "Scarlet Blue", n'omet pas ces thématiques, qui prennent vie à travers Alter, le personnage principal interprété par Amélie Daure et Anne-Sophie Charron.
Le tournage de "Scarlet Blue" s'est révélé émotionnellement très intense pour sa belle réalisatrice, puisque cette dernière a dû lutter contre le temps pour parvenir à boucler son nouveau film. Un tournage qui a duré 19 jours au lieu des sept semaines initiales prévues. Cause de cette précipitation, la découverte d'un cancer foudroyant chez son père. La réalisatrice lui avait promis de réaliser "Scarlet Blue", de lui faire interpréter un rôle spécialement écrit pour lui et de le faire venir avec sa femme sur le tournage, pour qu’il puisse réaliser, comme pour chacun de ses œuvres précédentes, le making of.
Elle a réussi à tenir toutes ses promesses, avant le décès survenu le 15 février. On imagine l'état d'esprit et la force de caractère dont a du faire preuve Aurélia Mengin pour mener à bien cette mission dans ces conditions particulières. Reste que malgré un tournage en mode urgence, elle n'a rien lâché, et n'a pas revu son film à la baisse, bien au contraire.
Si "Fornacis" nous avait ravis les yeux, Scarlet Blue grimpe encore d'un niveau en terme visuel, avec une photographie à tomber et un jeu sur les couleurs, principalement le rouge et le bleu bien sûr, qui est d'une richesse incroyable. L'univers visuel d'Aurélia Mengin rejoint celui de Mario Bava en terme d'inventivité et de détail sur les couleurs et les ambiances proposées. Un tel niveau artistique n'est pas donné à tout le monde et "Scarlet Blue" vous flattera la rétine à coup sûr. Autre point fort, le travail sur le son. Il faut impérativement découvrir "Scarlet Blue" avec un système sonore de qualité voire même au casque, afin de s'imprégner de toutes les subtilités sonores éparpillées tout au long du film.
Un film qui joue dans la cour du drame, avec ce personnage principal à fleur de peau, victime d'une dépression qui la plonge continuellement dans une sorte d'état second dont elle ne comprend pas la finalité ni le pourquoi du comment. Son travail avec un curieux médecin, joué par Stefano Cassetti, va lui permettre de reconstituer le puzzle de sa vie et de comprendre son état dépressif, parfois même schizophrénique puisqu'elle est victime de visions dans lesquelles elle subit l'apparition d'une sorte de doppelganger, de double maléfique.
On félicitera l'équipe de maquillage puisque ce double est interprété par une autre actrice, Anne-Sophie Charron, alors qu'à l'écran, la ressemblance est telle qu'on pense qu'il s'agit bel et bien d'Amélie Daure. Le prénom de l'héroïne, Alter, n'est donc pas fortuit comme vous l'avez compris. Le sentiment qu'on suit une âme perdue qui tente de se retrouver est amplifié lors de la scène dans laquelle elle est emmené chez son médecin sur une barque. L'allusion à Charon, le passeur du Styx, ne manquera pas de vous apparaître clairement ici, surtout que le lieu de travail du médecin est sous terre, à l'intérieur d'une grotte.
Les éléments fantastiques dans "Scarlet Blue" sont utilisés avec parcimonie et servent le récit, sans prendre le dessus sur ce que veut nous raconter Aurélia Mengin. Plus le film avance, plus de nouveaux éléments viennent apporter de la substance au vécu d'Alter et petit à petit, les pièces du puzzle se mettent en place pour aboutir lentement vers la révélation finale. En esthète accomplie, Aurélia Mengin nous propose avec "Scarlet Blue" un nouveau voyage atypique, contemplatif, qu'il faut s'approprier pour en saisir les nuances. On est a mille lieues du cinéma de divertissement ici mais la touche auteurisante ne joue jamais en sa défaveur. Aurélia Mengin est un peu une David Lynch au féminin et c'est bien pour ça qu'on aime son cinéma, qui est l'antithèse du cinéma préformaté. Laissez-vous aller et prenez part au voyage.
Avis de David Maurice :
Avec Stéphane, nous avons eu la chance (et nous en sommes fort honorés) de voir le second film de notre amie Aurélia Mengin alors que ce dernier était encore en post-production.
Nous avions déjà fort apprécié son premier film, "Fornacis", mais également plusieurs de ses courts-métrages. Alors inutile de vous dire à quel point nous étions tous deux impatients de voir ce deuxième long-métrage que nous suivions déjà de près à horreur.com et pour lequel nous avions déjà écrit quelques articles sur les avancées de la belle réunionnaise et de son équipe sur ce nouveau projet.
Et une fois de plus difficile de ne pas être impressionné par le travail d’Aurélia et de ses acolytes. Le très bon boulot accompli sur la photographie, les couleurs, le son ou encore la musique montre à quel point il faut et il faudra compter sur Aurélia Mengin pour offrir au cinéma de genre français un esthétisme poussé et un sens du détail sensitif dingue comme le disait déjà à juste titre Stéphane dans sa critique ci-dessus.
Quel travail léché nous offre "Scarlet blue" ! Un sens de l’esthétisme que l’on retrouvait déjà dans "Fornacis" et dans quelques uns de ses courts-métrages.
Tout ceci sans oublier cet univers si particulier qu’il est difficile de savoir dans quelle décennie et dans quel Monde nous sommes exactement (tantôt réaliste/contemporain comme cette station service, tantôt kitch comme chez Alter ou sa mère, tantôt rétro quand on voit les bagnoles ou les fringues de certains personnages…) et c’est bien ce qui rend ce voyage audiovisuel sensitif enivrant !
Alors oui l’histoire peut paraitre simple aux premiers abords mais cette narration teintée d’éléments fantastiques et flirtant avec la psychiatrie et la médecine permet de sortir des sentiers battus, sans oublier qu’elle nous est contée par un casting de très bonne facture (un psy troublant, une Alter énigmatique à souhait, une mère intrigante, sans oublier cette pompiste jouée par Aurélia herself qui semble être un peu le rayon de soleil dans la vie tourmentée d’Alter tandis que cet homme au look rétro/kitch semble être là pour la faire avancer dans son traitement…), ce qui permet sans souci de tenir le spectateur en haleine jusqu’à la révélation finale de "Scarlet blue".
Bravo Aurélia, bravo l’équipe ! Il reste à présent au petit frère de "Fornacis" de se frayer un joli chemin parmi les festivals du Monde entier. Et à ce titre nous lui souhaitons pleine réussite et joie pour sa génitrice !
Ma note : 4/5