Mort vivant - le
Deathdream
Une nuit, à la lumière des explosions d'obus, le jeune soldat Andy Brooks et son coéquipier Darren évoluent dans la jungle vietnamienne. Invisible, l'ennemi abat Darren, puis Andy, d'une balle en plein coeur. Tandis qu'il s'écroule, la voix de sa mère se fait alors entendre, lui rappelant sa promesse de revenir à la maison.
Brookstown, Etats-Unis : un officier frappe à la porte de la famille Brooks pour apporter la triste nouvelle. Le chagrin de Charles, père de Andy, et de Cathy, sa sœur, est aggravé par l'hystérie de sa mère Christine, qui refuse d'accepter la vérité des faits.
Au beau milieu de la nuit, Charles la découvre oscillant dans un rocking-chair, une bougie sur les genoux et s'adressant à son fils dans les ténèbres : "Tu ne peux pas mourir…tu es vivant… je peux le sentir…", murmure-t-elle.
Du coup, quand Andy se présente à la porte un moment plus tard, c'est bien sûr la stupeur, puis la joie.
Mais pas pour longtemps…
"Deathdream" est un film injustement oublié, son niveau de réalisation et d'intensité horrifique le hissant au même rang qu'un "Halloween" (ce dernier s'étant fortement inspiré de "Black Christmas" du même Bob Clark) ou même "Night of the Living Dead" (à l'inverse, Bob Clark avait commencé sa carrière en exploitant le succès de Romero avec "Children Shouldn't Play with Dead Things", 1972). "Deathdream" est aussi connu sous les titres de "Dead of Night", "The Veteran", "The Night Andy Came Home", "Whispers", "Night Walk" et Soif de Sang, preuve de la difficulté à mettre un nom définitif sur un objet cinématographique qui se soucie peu de sa classification. En France, on le trouve en VHS sous le titre "Le Mort Vivant".
D'un impact à la fois physique, émotionnel et intellectuel, il s'agit également d'un des premiers films traitant du traumatisme engendré par la guerre du Vietnam, vu ici à l'échelle d'une petite cellule familiale de la classe moyenne américaine (les Brooks habitent à Brookstown, façon de résumer à quel point la subjectivité des américains ne dépassait pas jusqu'alors un cocon étroit, que va briser le retour de Andy).
On a beaucoup dit que le scénario de "Deathdream" s'inspirait de la nouvelle W.W. Jacobs écrite en 1902, "The Monkey's Paw" ("La patte de singe"). C'est très peu vrai. La nouvelle de Jacobs est un conte moral qui use d'une patte de singe momifiée venant des Indes comme d'une lampe d'Aladin. Elle permet à son possesseur de réaliser trois vœux. Par le premier souhait, les parents de Herbert causent involontairement la mort de ce dernier, puis sa mère demande son retour, et son père annule ce deuxième vœu par le troisième.
Dans "Deathdream", c'est l'exigence de la mère seule, sans artefact magique, qui provoque le retour de Andy, lequel revient pour de bon. Le scénariste Alan Ormsby se débarasse ainsi de toute justification ésotérique ou exotique, comme le feront beaucoup d'autres auteurs dans les années 70 ("Deathdream" pourrait très bien avoir été écrit par Stephen King), et lance par le biais d'une terreur poussée jusqu'au bout une cruelle investigation psychologique de son époque.
La seule véritable analogie qu'on pourrait trouver entre "The Monkey's Paw" et "Deathdream" réside dans le couple parental qui s'entredéchire (mais ce sujet est-il la propriété exclusive de W.W. Jacobs ?), ici interprété par les merveilleux John Marley et Lynn Carlin, comédiens ô combien adaptés pour ces rôles à fleur de peau : ils avaient déjà tourné ensemble sur le grand "Faces" (1968) de John Cassavetes.
"Deathdream" repose en premier lieu sur la tension et l'atmosphère, avant de finir dans une embardée de violence et de mélancolie où Tom Savini, fraîchement revenu de son service au Vietnam, fit ses premières preuves dans les effets de décomposition zombiesques. Cette décomposition de Andy, à la fois fantôme, mort-vivant et vampire (il s'injecte le sang de ses victimes par seringue hypodermique, là aussi bien avant d'autres), est accompagnée par la défection progressive des valeurs morales et affectives des Brooks et de Brookstown.
Richard Backus, qui allait poursuivre sa carrière sur le petit écran, n'était pas un grand acteur. Mais aussi bien, cela ne porte pas préjudice à son personnage, Andy revenant sous la forme d'un automate infiniment triste, ironique et peu expressif, mais dégageant par sa seule présence une froideur délétère aussi redoutable qu'émouvante.
Tout flétrit au contact de cette incarnation du reproche légitime: l'hospitalité, la joie, l'autorité paternelle, l'innocence des enfants (qui sont les premiers à cultiver la violence comme un idéal), la médecine, le divertissement, l'amitié et l'amour. L'expérience de la guerre du Vietnam et de la mort renvoie tout cela au rang de peccadille et d'infâme hypocrisie. Comme le dira si bien Andy à l'occasion d'une de ses rares paroles (oui, un zombie qui parle, en 1974!), c'est au nom de tout cela qu'il est allé mourir, et que tant d'autres meurent encore. Le petit paradis américain va de pair avec l'ignominie et avec le mensonge, voilà la vérité. Et cela, malgré son hystérie, seule la mère de Andy semble finalement le comprendre, elle qui ira jusqu'à le border sur sa tombe.
Nous savons très bien, dès le début du film, que tout va se passer très mal. Nous savons que Andy Brooks, dont le corps mort fait insupportablement grincer son rocking-chair comme une rage de dent sonore, va aller jusqu'au bout.
Et c'est précisément là-dessus que Bob Clark joue avec brio, jouant du suspens avec un sadisme consommé. Que le croque-mitaine me croque tout cru si, durant le visionnage de ce film, vous ne bondissez pas au moins une fois de votre fauteuil en poussant un cri. Le regard rougi et inoubliable de Backus, la musique -très éprouvante pour les nerfs- de Carl Zittrer (fidèle musicien de Bob Clark), le jeu impeccable de chaque personnage, vous mettent en condition pour plonger dans ce cauchemar au déroulement inéluctable.
Un saisissement macabre de première catégorie, mais aussi un drame poignant, car la dernière partie du film culmine aussi bien dans l'horreur que dans les larmes. Indispensable, en somme.