Longue nuit de l exorcisme - la
Non si sevizia un paperino
Dans un petit village du sud de l'Italie, des meurtres ignobles visant des enfants sont perpétrés. Une équipe de police est dépêchée sur place afin d'y mener l'enquête. Un journaliste d'un grand quotidien va également tenter de résoudre le mystère. La tension et les préjugés au sein de cette petite communauté vont rapidement devenir exécrables.
Troisième gialli du réalisateur italien (après "Perversion Story" en 1969 et "Le venin de la peur" en 1972), "La longue nuit de l'exorcisme" est une oeuvre d'une rare intensité dramatique doublée d'une vision pessimiste de l'être humain. On y trouve déjà certains des thèmes de prédilections qui feront la réussite de Lucio Fulci dans ses futurs oeuvres ultra-gore.
Avant toute chose, un petit mot sur l'inanité du titre français. Si le film date de 1972, il n'est sorti en France qu'en 1978 (probablement à cause de son sulfureux sujet, le meurtre d'enfants) et de malins, mais peu respectueux distributeurs ont cru bon de l'affubler de ce titre d'une rare débilité, afin de profiter du succès de "L'exorciste" (1974) et autres bandes filmiques à bases de démonologie. Car, hormis quelques légères "touches" de magie noire, on n'y trouvera aucune référence à un quelconque exorcisme. Le titre original "Non si sevizia un paperino" (que l'on peut traduire par "Ne torturez pas un Donald Duck", Paperino étant le nom donné au célèbre canard de l'autre côté des Alpes) étant à la fois plus conforme à l'oeuvre et plus dans l'air d'un temps où les titres des gialli se déclinaient de manières "surréalistes et poétiques". Mais passons et revenons à notre canard.
La grande originalité du long-métrage est de se situer en milieu rural, alors que les codes du giallo l'orientent a priori tout naturellement vers les décors urbains. A ma connaissance, seul le formidable " La maison aux fenêtres qui rient" peut se targuer de se dérouler également à la campagne. Une originalité non vaine et qui donne ici une force incroyable à la mise en scène de Fulci.
Ce village plombé par un soleil omniprésent, bâti à la chaux blanche, où le temps semble s'être arrêté et où la modernité n'a pas encore atteint les consciences, fait régner sur l'ensemble une sensation d'étouffement, une cocotte-minute prête à exploser à la moindre occasion. Ce n'est pas le moindre des mérites du réalisateur que d'avoir su exploiter ce lieu (pourtant imposé par les producteurs, le film devant à la base se dérouler dans la ville de Turin) pour en faire pratiquement un des acteurs de sa réalisation (peut-être même le rôle l plus important).Un village dont les habitants sont prisonniers de leurs incultures, de leurs traditions, et de leurs ignorances. C'est bien simple, hormis quelques outils modernes comme le téléphone ou quelques voitures, on le croirait tout droit sorti du Moyen Age.
Fulci profite aussi d'un autre élément du décor pour à l'évidence, manier la métaphore, un immense tronçon d'autoroute qui surplombe le village, telle une immonde cicatrice moderne, qui ne fait que transporter les citadins d'un point à l'autre de leurs pays, oublieux de ceux d'en bas engoncés dans leurs passéismes et leurs étroitesses d'esprit. Deux mondes qui se côtoient certes, mais deux mondes à des années lumières l'un de l'autre.
Mise en lumière de la superstition et de l'archaïsme de ses contemporains, mais aussi méfiance toute Fulcienne vis-à-vis d'un clergé qui semble tirer son pouvoir du maintien de ses ouailles dans les eaux troubles de l'ignorance, critique de la police incapable de s'adapter et de trouver le coupable, dénonciation de la difficulté de la non-conformité au travers de l'éprouvant lynchage de celle que les autochtones appellent " La sorcière".
Finalement et comme souvent chez Fulci, on ne peut s'identifier qu'à peu de personnages. Ici, seul le journaliste venant de la grande ville (joué par le génial Tomas Milian) semble être doué de raison et n'agit pas uniquement selon ses pulsions. Un seul être sain dans un monde voué à l'enfer. Etonnant finalement combien le bon Lucio reprend de métrage en métrage les mêmes thèmes, le même type de personnage et le même pessimisme sur la psyché humaine.
Même la touche féminine réglementaire (Barbara Bouchet sublime, excitante et subversive comme rarement, ce qui n'est pas peu dire !) cache son ennui et la petitesse de sa vie derrière une provocation de facade. Provocation dans ses tenues (merveilleux habitats féminins des années 70 !) mais aussi dans son comportement, allant jusqu'à sombrer dans une déviance sulfureuse lors d'une scène où elle apparait nue comme la Jérusalem céleste devant un enfant de 12 ans, lui proposant de profiter de ses charmes.
Cependant, Fulci accompagné de son scénariste n'oublie pas qu'il œuvre dans le cinéma populaire et dans le thriller italien. Il truffe donc son film d'une multitude de fausses pistes, brouillant à souhait les cartes, afin que l'on ne sache pas jusqu'au dénouement final qui est l'assassin. Bien que le fin mot de l'histoire ne soit pas le plus important dans le film, il pourra tout de même en étonner pas mal.
Il convient également d'ajouter que "La longue nuit de l'exorcisme" est une date majeure dans le cinéma du futur maître du gore. En effet, il contient une scène d'une rare violence, filmée avec une rare complaisance pour l'époque. Rien n'y est suggéré et elle fait très mal, même avec le recul du temps et les milliers de bobines montrant la violence à l'écran, c'est dire sa force ! Probablement la première scène réellement gore du metteur en scène, où l'on y voit un lynchage d'un autre temps, perpétré avec d'énormes chaînes par plusieurs paysans. Chacun des coups est filmé en gros plan, chacun des coups marque la malheureuse, qui s'en ira crever la bouche ouverte au bord de l'autoroute où des familles partent en vacances. Magistral et choquant !
Pas grand-chose à jeter dans cette petite merveille transalpine, la mise en scène est admirable, la photographie aussi, l'intrigue est suffocante à souhait, les acteurs tous excellents (ce qui tord le coup à la légende qui veut que Fulci n'aurait pas su diriger ses acteurs), la partition musicale est de toute beauté mélangeant une musique typique du giallo avec des chants traditionnels, à peine pourrait-on regretter une fin un peu trop convenue et des effets spéciaux ratés lors de celle-ci. Mais c'est bien tout.
Un excellent film, hélas indisponible en DVD dans notre beau pays. Si vous êtes anglophones, tournez-vous vers l'édition Anchor Bay ou tentez de vous procurer la VHS qui ne rend pas totalement justice à la splendide photographie, mais c'est toujours mieux que de louper un tel long-métrage !