Giorgino

Giorgino

Artiste unique dans la chanson française (et même dans l'histoire de la chanson en générale), Mylène Farmer a réussit à diffuser à travers les années un épais et voluptueux mystère, se rejoignant jusque dans ses superbes chansons, dont le style évolue au fil des albums. Plus noir dans sa première période, l'univers de Mylène Farmer connaîtra une sorte de boucle avec le film "Giorgino", film maudit par excellence.

GIORGINO | GIORGINO | 1994

Si les œuvres musicales de Mylène Farmer sont déjà un exploit en soi, ses clips atteignent des sommets en s'appropriant un univers surréaliste, poétique, provocateur, blasphématoire, érotique et surtout fantastique. Revisitant les contes asiatiques, Pinocchio ou Blanche Neige, choquant son petit monde avec de beaux morceaux bien provocs où le sexe et le sang sont omniprésents, prenant sa source dans le cinéma de Bunuel, Zulawski ou dans les peintures de Goya voire de Egon Schiele, Mylene Farmer nous livre un monde original et fiévreux, qui peut rebuter à coup sûr un certain public.

Quatre albums, voilà ce qui suffit à faire de Mylène un grand nom de la chanson. Pourtant l'univers de l'ange roux est nettement plus grave à l'époque que celui de nos jours. Un univers très noir et d'une grande force, directement lié à des artistes comme Baudelaire ou Edgar Allan Poe. La jolie Mylène est cependant connectée directement au jeune Laurent Boutonnat, qui a signé une grande partie de ses clips et de ses chansons. Bien avant la rencontre décisive avec la belle rousse, Boutonnat avait tourné une œuvre maudite, car jugée beaucoup trop choquante et inadmissible dans les images qu'elle montrait. Ce film, "La ballade de la féconductrice", sera interdit au moins de 18 ans (Boutonnat en a 17 quand il le tourne !) et devra disparaître dans les limbes de l'oubli. Cependant impossible de se le procurer, le film reste condamné.

Nouvelle tentative au cinéma pour Boutonnat, et première pour Mylene Farmer qui trouve évidemment un rôle à sa mesure. Annoncé à grand renfort de publicité, "Giorgino" reprend le même esprit marketing que les blockbusters de l'époque. Impossible de le rater : bandes annonces, affiches, CD et autres joyeuseuries attaquent en masse. Et pourtant, et pourtant…
Le film fera un flop monumental au box office, et Boutonnat aura bien du mal à le digérer, beaucoup de mal même.

Résultat donc : Boutonnat ne sortira jamais le film en VHS, et seul Canal + le diffusera à la télévision. Plus grand-chose à redire dessus : Boutonnat garde les droits du film, et ne semble rien annoncer encore. Et cela fera bientôt 9 ans qu'on attend, peut être un DVD pour les 10 ans du film ? Allez savoir…

Nous arrivons donc enfin à l'essentiel : le film. Et là on aura du mal à comprendre un tel échec, surtout que les fans de Mylène, nombreux, réclament avec persévérance une nouvelle sortie du film (sur support vidéo ou en salle). Ni une déception, ni un chef d'œuvre, il se doit d'être vu comme un grand film, le fruit d'un travail conséquent comme en a l'habitude Boutonnat dans ses clips.

En 1918, le Docteur Giorgino revient de la guerre, malade après avoir inhalé accidentellement des gaz. Il s'apprête à retrouver les douze orphelins qu'il avait à charge mais ceux-ci ont été transportés d'urgence dans un orphelinat en pleine montagne, suite aux bombardements. Passif, étrange, Giorgino est quelque peu secoué par la nouvelle et aura le temps de sauver un étalon noir de la mort pour ensuite récupérer quelques dessins desdits orphelins, affichant un animal agressif très proche du loup.
Giorgino se rend donc à Chanteloup (= les loups chantent ?), village lugubre perdu au milieu des montagnes enneigées, aux rues glauques et aux habitants inquiétants. Il se rend chez le Docteur Degrace, être fantasque venant de perdre sa femme et veillant sur sa fille Catherine, fragile et belle. Pas de chance pour Giorgino, les orphelins sont morts depuis longtemps, dans des circonstances mystérieuses et troubles. On parle de meurtres, de noyades, de loups mais jamais la vérité ne semble s'éclaircir.

Une enquête qui sera longue et difficile pour Giorgino, amoureux de la frêle Catherine, incarnée bien entendue par Mylène, une femme enfant perturbée et envoûtante, sans doute le deuxième grand élément principal du film. Entre autisme, sensualité et solitude, la jeune fille connaîtra un amour désespéré avec le jeune homme, qui la tirera de bien des misères. La chanteuse rousse l'a déjà montré dans ses clips : c'est une grande actrice, et elle le prouve encore une fois. Jamais sa splendide chevelure rousse, ne se sera aussi bien harmonisée avec ces décors froid et blanc, et ce teint de peau très pale qui lui donne tout son charme. Le sang sera bien présent, qu'il soit d'une blessure ou de menstruations subites, coïncidant avec cette magnifique blancheur.

S'il n'est jamais proprement dit un film fantastique, "Giorgino" s'en rapproche à très grand pas avec son atmosphère froide et morbide : ruelles désertes, orphelinat obscur, asile de fous, cimetière, marais de glaces… Entre Burton, Goya, Fulci et les films de la Hammer, Boutonnat offre un monde décoloré et désenchanté, qui coïncide parfaitement avec la personnalité de ses personnages. Et pour exemple, ce rapprochement avec l'horreur et le fantastique culminera lors de deux scènes saisissantes : l'étreinte finale des amoureux, se terminant sur une image tétanisante, et cette plongée infâme dans les sous-sols d'un asile où les fous sont parqués comme des bêtes, vivant dans la crasse et la pourriture, entre cadavres et folie furieuse. On pourra être aussi surpris par les apparitions de cette enfant monstrueux, portant une lanterne et roulant en charrette avec une étrange dame en noire : La mort ? L'enfance perdue du héros ? Un fantôme ? Un orphelin qui aurait survécu ?

Si certaines scènes marquent (l'enterrement, la réanimation, la scène d'amour dramatique sur la glace…), le film souffre par moment de petites longueurs. C'est sans doute ces petits moments en trop ou ces baisses de régimes qui empêchent "Giorgino" d'être quasi parfait. Les fans de Boutonnat et de Mylène Farmer seront aux anges, les autres rumineront sans doute dans leur coin, certains se laisseront tenter. Une petite perle inclassable, et noire de préférence.

GIORGINO | GIORGINO | 1994
GIORGINO | GIORGINO | 1994
GIORGINO | GIORGINO | 1994
Note
5
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Jérémie Marchetti