Diary of the dead - chronique des morts vivants
Diary of the dead
Quel plaisir de voir un réalisateur qui après 40 ans de carrière reste toujours fidèle à son oeuvre, à ses convictions, à son acuité et qui s'intéresse toujours au monde qui l'entoure.
Car voilà que Roméro, en vieux singe qu'il est, nous livre un film roublard et malin, filmant en gardant une certaine fraîcheur juvénile, comme s'il n'avait jamais vu un Zombie trainer sur son plateau.
Revenant par obligation, mais aussi par choix , à un type de cinéma qui lui convient, à savoir un budget moyen ( 10 millions de dollars, soit trois fois moins que son "Land of the dead "), un tournage court ( 23 jours) et faisant confiance à des acteurs et actrices inconnus, le grand George contrôle à nouveau l'ensemble de son film et en fait une oeuvre d'auteur sans interférences externes.
Des étudiants en cinéma décident de tourner, dans une forêt, un film d'horreur à petit budget. Une femme y est attaquée par une momie dans la grande tradition des films des années 30 et 40. Filmant avec des caméras numériques qui permettent à n'importe qui d'entreprendre ce genre de choses de nos jours, ils tombent alors de manière impromptue sur des morts-vivants et s'apercevront assez vite, grâce à l'accès à diverses sources médiatiques et à la technologie qui s'y rattache (Télévision, Internet, Youtube, Webcams) que le monde entier semble être en proie à la résurrection des morts cherchant de la nourriture en s'attaquant aux vivants.
Ils décident alors de quitter le film et de rentrer chez eux. Certains décident de saisir cette occasion pour braquer les caméras sur les horreurs qu'ils vont parcourir, en tentant de rendre compte de la situation de fin du monde dans un style de "cinéma-vérité", et ce uniquement dans le but de devenir "célèbre" en inondant de leurs images la toile, nouveau miroir aux alouettes modernes.
Mais bien entendu le voyage va s'avérer périlleux et ils seront confrontés non seulement aux zombies, mais aussi et surtout à l'animal qui sommeille en chaque homme et qui dès que la société se délite redevient un être où l'instinct et la nouvelle " conscience médiatique "prend le pas sur la réflexion, l'intelligence et la solidarité.
Indubitablement, il s'agit d'un film profondément "Romérien" dans sa structure, dans sa manière d'amener l'intrigue, dans son utilisation de l'horreur , dans sa satire sociale, dans son humour et dans son humanité. Plus le monde change, moins Roméro évolue diront ses grincheux pourfendeurs, plus le monde évolue, plus Roméro parvient a en saisir les dérives et les incohérences diront les admirateurs. Et on ne pourra donner tort ni aux uns, ni aux autres à la vision de ce métrage.
Le projet étant même un paradoxe à lui tout seul ( ce qui connaissant l'intelligence et l'humour du bonhomme n'est certainement pas dû au hasard), un film professionnel filmé comme un film d'amateur contant les aventures d'une bande d'amateurs cherchant à faire de leur film un standard dans le monde entier afin d'accéder à la reconnaissance du public et par extension des professionnels.
Alors, oui Roméro a toujours des choses à dire et même si c'est fait au burin et si certains lui reprocheront d'enfoncer des portes ouvertes ( reproche déjà adressé à son " Land of the Dead" qui mettait en garde contre le fossé grandissant qui se creuse entre les très riches, les détenteurs du pouvoir et les autres, avec pour toile de fond "la lutte contre le terrorisme), il a au moins le mérite de se risquer à la dire, ce qui va lui valoir et qui lui vaut déjà ( alors même que certains n'ont pas encore vu le film ! ) quantités de critiques de droite et de gauche sur l'impossibilité de concilier oeuvre cinématographique et engagement personnel.
Roméro n'est pas un sociologue, un politique, un géostratège qui assène ses certitudes avec l'assentiment d'une élite bien calé sur son derrière traînant derrière elle une masse inerte et inculte gavé de coca-cola tiède et d'émissions télévisées débiles, non ! C'est un citoyen du monde issu de la contre-culture américaine des années 70 qui porte un regard humaniste sur une société qui part à la renverse. C'est un homme qui sait encore ce que prendre position veut dire et qui dérange tant les réactionnaires de tous horizons uniquement soucieux d'eux-mêmes, insensibles aux autres, sur-connectés à l'information planétaire, mais qui n'en retiennent finalement que le futile et l'inutile.
Et qu'a t-il à dire ? Que la surmédiatisation de tout et de son contraire empêche l'analyse, le sens critique et la réflexion. Que la pléthore des outils de communications mis à disposition de la partie riche de la planète ne permet pas la construction de l'être humain mais qu'au contraire elle participe à la destruction du lien social en manipulant à l'envie et à l'infini les amateurs, que nous sommes tous plus ou moins, d'images chocs, de faits divers, dans le but évident de permettre aux élites de déclamer les mensonges les plus énormes et les plus subversifs sans que l'opinion publique n'est ni le temps, ni l'envie de réagir, engoncé qu'elle est dans son conformisme sécurisant.
Et puisque Roméro est citoyen des Etats-Unis d'Amérique, cela lui permet de fustiger les dérives de son temps ( comme il le fit dans ses autres oeuvres "zombiesques" : guerre du Vietnam, hyperconsommation, guerre bactériologique, terrorisme, antimilitarisme ). On retrouve dans "Diary of the Dead", le fameux "temps de cerveau disponible" permettant de mentir sur les raisons de la guerre en Irak, sur les conséquences sociales du cyclone Katerina, sur la mainmise des grands cartels télévisés, sur la fausse démocratie de l'Internet.
Qu'il est loin le temps des prises de paroles citoyennes contre la guerre du Vietnam, qu'il est loin le temps d'un pays qui portait en lui et par sa jeunesse l'espoir d'un monde différent, voilà ce que dit et redit Roméro depuis une vingtaine d'années. Alors oui, sa satire peut paraître facile tant elle saute aux yeux, mais elle reste salutaire.
Qui lui jettera la première pierre ?
Cependant "Diary of the dead" ne peut être comparé en termes de qualités intrinsèques avec sa trilogie primordiale des morts-vivants. Si l'utilisation de la caméra DV, filmé à l'épaule permet une identification avec les personnages en les mettant directement au centre de l'intrigue, si la photographie ne souffre d'aucun défaut et si Roméro reste un maître es montage, le film souffre d'une baisse de rythme en son milieu, comme si la critique prenait le pas sur l'histoire en elle-même, les situations s'enchaînent sans ennuies certes, mais sans folie non plus. Les dialogues entre les personnages étant entrecoupés de situation d'action ou les zombies ( des vrais ! qui marchent et qui semblent sortir d'un long silence, à l'opposé donc de l'hystérie des néo-morts-vivants si prisées actuellement ), le gore et les touches d'humour font alors leurs apparitions. Sans excès cependant ( on est très loin de la folie cartoonnesque d'un "Zombie") mais avec talent et conviction, le réalisateur nous offrant une fois encore des scènes d'un gore visuellement impeccables, matinées d'un humour noir à froid ( ah ! la rencontre avec un vieil Amiche et sa fin tragique : un régal !).
Enfin le film souffre aussi et surtout de ses interprètes qui manquent singulièrement de charisme ( pas de nouveau Duane Jones, Ken Foree ou de Gaylen Ross à l'horizon ) et dont la direction semble ne pas avoir été la principale préoccupation du réalisateur, ici pris sur le fait d'une forme de dilettantisme qu'on ne lui connaissait guère.
Un film frais, attachant, dynamitant sans finesse, mais avec acuité, le monde ultra médiatisé qui nous entoure et qui a l'immense mérite de prouver une chose (s'il en était besoin), c'est que George A.Roméro n'est ni artistiquement, ni intellectuellement mort et continue sur la voie qu'il s'est lui-même tracé. Et c'est déjà beaucoup et suffisant pour en faire un film majeur de l'année. A quand le prochain ?
Un autre cinéma est possible !