Baiser macabre
Macabro
Mariée et mère de deux enfants, Jane Baker a un amant, Fred Kellerman, chez qui elle se rend dès que son mari a le dos tourné. A sa fille Lucy, elle prétexte à chaque fois qu'elle doit se rendre à son travail, mais la fillette sait parfaitement à quoi s'en tenir. Pour se venger, elle noie le petit frère qu'elle a sous sa garde. Catastrophée par ce qu'elle croit être un drame domestique, Jane se fait raccompagner en voiture par Fred, et c'est l'accident : Fred est tué sur le coup.
Un an plus tard, Jane Baker sort de l'hôpital psychiatrique, mais c'est chez son amant défunt qu'elle s'installe directement. Entretenant des rapports ambigus avec Robert, le jeune concierge aveugle qui occupe son temps à réparer des instruments de musique, elle commence à entretenir d'une façon morbide la mémoire de Fred… Mais c'est sans compter sur sa fille Lucy, qui n'a pas dit son dernier mot…
L'AVIS :
"Macabro" sortit sur les écrans italiens dix jours avant la mort de Mario Bava. Avec ce premier film sensé avoir terrorisé Dario Argento lui-même (il y a des chances que ce soit un mythe, mais pourquoi pas ?), on peut dire que le relais avait été passé avec succès à son fils, dont la carrière prit ensuite la tournure que l'on sait… Doté d'un scénario écrit en collaboration avec Pupi Avati, réalisateur de "La Maison aux Fenêtre qui Rient" trois ans plus tôt (voir la critique de Marija Nielsen), "Baiser Macabre" s'inscrit dans la tradition du cinéma d'horreur à l'italienne, tout en recelant déjà les excès et les bizarreries propres à Lamberto Bava.
Macabre, le film ne pouvait pas mériter de titre plus juste, et il est dommage que les traductions française et américaine en aient réduit la portée. Le film est saturé d'une nostalgie morbide qui fait froid dans le dos, celle de Jane Baker (Bernice Stegers) pour son amant défunt. Une nostalgie qui s'exprime de manière obsédante à travers la musique de Ubaldo Continiello, dont les choix instrumentaux surprennent et mettent mal à l'aise : un harmonica plaintif, des trompettes chaleureuses et nonchalentes… On retrouve ce mélange bizarre de torpeur bourgeoise et de hérissement nerveux dans les décors, à la fois luxueux et crasseux, et Lamberto Bava multiplie à l'envie ces différences de tons reflétant l'accointance perverse de l'amour et de la mort.
Ne serait-ce que par le bouche à oreille, on sait déjà ce que cache Jane Baker dans le compartiment à glace de son réfrigérateur, et avec quoi elle fait l'amour. Lamberto Bava ne vise pas l'effet de surprise, mais il retarde la révélation graphique en faisant passer sa découverte à travers les autres personnages : Robert l'aveugle va comprendre auditivement et tactilement de quoi il retourne, et la démoniaque Lucy, sans doute le personnage de petite fille le plus détestable qu'on ait jamais vu, ne manifestera pas d'étonnement considérable en ouvrant le compartiment, toute obsédée qu'elle est par l'idée de faire le plus de mal possible à sa mère.
C'est dire s'il ne faut pas attribuer à Lamberto Bava des intentions qui ne sont pas les siennes. Son but n'est pas de soulever le cœur comme l'a fait Joe d'Amato l'année précédente avec "Blue Holocaust" ou comme le fera plus tard le moyen Jörg Buttgereït avec "Nekromantik" (voir les critiques de Stéphane Erbisti). Ce qu'il veut, c'est épouvanter, faire couler un frisson glacé sur notre échine. Oui, nous avons tout deviné avant les personnages eux-mêmes. Seulement, nous ne voulons pas le croire, c'est impossible. Pas ça… Et pourtant si. Tout réside dans ce suspens trouble et malade, qui charge la fin d'une intensité bien plus puissante qu'avec un simple filmage frontal de bout en bout.
Lamberto Bava n'a pas un sens de la mise en scène aussi poussé que celui de son père, c'est un fait. Les cadrages et le montage s'avèrent conventionnels, et quand un type de couleur général est trouvé, c'est en gros la même pour tout le film : un brun glauque qui accable tout le reste de la gamme chromatique. Au niveau des lumières, c'est à peu près la même chose : ténèbres épaisses, éclairages livides... Le spectre est mince, mais parfaitement adéquat au sujet, alors pourquoi chercher plus loin ?... L'accent est plutôt mis sur le jeu d'acteurs et sur les événements, qui sont sans doute les éléments les moins coûteux du film… Et ça tombe bien.
Les comédiens ne sont pas des bêtes de scènes, mais les personnages qu'ils incarnent, savant dosage de banalité et d'originalité, font déjà la moitié du travail. Bernice Stegers, en bourgeoise adultère aux yeux cerclés de noir, nous glace avec sa fragilité de désaxée et son érotisme mortifère, errant dans une solitude quasi absolue à travers les tourments de sa passion secrète. Stanko Molnar, en grand dadet sensible, bon et aveugle, nous émeut et nous met mal à l'aise, son regard n'étant pas sans rappeler un certain Christopher Walken… Et quant à Veronica Zinny, le petit singe faussement innocent, malfaisant et vicieux dont elle joue le rôle donnera aux âmes les plus tolérantes une furieuse envie de châtier…
C'est par cette saturation de notes décalées et oppressantes que Lamberto Bava est le plus fidèle à l'esprit de son père, l'image finale annonçant cependant des délires plus personnels. Quand bien même il ne possède pas une maîtrise comparable, il sait comment raconter une histoire, créer une atmosphère, réunir ensemble plusieurs faisceaux susceptibles de provoquer une terreur grandissante… et force est de constater qu'il y parvient très bien ! Les perles ne sont pas nombreuses dans son œuvre cinématographique, mais "Macabro", indéniablement, en fait partie.