Code 46
Code 46
Dans un futur proche où deux mondes coexistent, celui des personnes avec couverture sociale leur permettant de vivre dans les grandes mégalopoles et les autres, vivant dans des campagnes plus ou moins désertiques, William Geld est envoyé par le Sphinx, dans une entreprise octroyant les cartes de couverture afin de déceler qui pourrait en faire le commerce illégal. Il démasque très vite Maria Gonzales, mais décide de ne pas la dénoncer car il en est tombé amoureux. Elle semble également le trouver à son goût. Auront-ils alors le droit de s’aimer librement ?
Il est des films comme Code 46 qui passent totalement inaperçus dans les salles ou lors de leur sortie en DVD alors que l’on tient là un petit bijou d’anticipation. L’histoire d’abord n’est pas banale puisque dans un futur « dystopique » (s’opposant à l’utopie et proposant le pire, comme dans "Brazil") où les libertés sont scrupuleusement contrôlées et où les naissances sont devenues artificielles (fécondations in vitro ou clonages à la chaîne), l’Etat a imposé une régulation des rapports sexuels. Ainsi, ceux qui partagent au moins 25% de leur patrimoine génétique ne peuvent prétendre s’aimer sans enfreindre le « code 46 », celui du titre. Cette loi condamne alors les contrevenants à un exil hors des mégapoles surpeuplées dans lesquelles il faut un document spécial (le « papel ») pour vivre. Ceux qui sont privés de ce « passeport social » doivent ainsi vivre dans des campagnes désertiques subissant l’impact du réchauffement climatique. C’est dans ce monde ultra-régulé que William Geld, un enquêteur travaillant pour une compagnie d'assurances et capable de deviner les pensées de ses interlocuteurs dès que ceux-ci lui révèlent une chose sur eux est envoyé à Shanghai pour enquêter sur un trafic de « papeles », ces fameux visas servant de couverture sociale et permettant la libre circulation des individus à travers le globe. Il découvre que la coupable est Maria Gonzales, une employée du Sphinx. Fasciné par cette étrange jeune femme, il se refuse à la dénoncer et passe la nuit avec elle avant de retourner auprès de sa femme et son fils à Seattle. Mais il doit bientôt revenir en Chine, où il découvrira un étonnant secret sur Maria, qu’il a du mal à oublier. Si ça, ce n’est pas du scénario ma bonne dame, je ne sais pas ce qu’il vous faut !
Cinéaste prolifique (plus de vingt-cinq films depuis 1990), Michael Winterbottom ("The killer inside me") n’a pas souvent eu le privilège de voir ses œuvres diffusées sur grand écran, du moins chez nous, à l’instar de ce Code 46 sorti en DTV huit ans après son passage remarqué à la Mostra de Venise. Pourtant, il gagne à être connu et on pourrait le caractériser comme un réalisateur esthétique à tendance « auteurisante » et ici, il arrive à traduire la froide inhumanité de ce monde futuriste, où les souvenirs s’effacent comme des disques durs, tout en rendant palpable les sentiments amoureux découlant d’une banale histoire d’infidélité. Le rendu est plutôt magnifique : les grandes villes de nantis, ceux ayant les bons papiers, semblent glaciales, presque artificielles alors que les étendues isolées en plein déserts sont peut-être plus vivantes mais paraissent assommées par le soleil et éblouies par ses rayons. Notons qu’à ce sujet, le tournage s'est déroulé à Londres, Dubaï, Shanghai, Jaipur, Jodphur et Hong Kong. Mais Winterbottom sait aussi filmer des moments intimistes ou magiques que vit, par exemple, Maria Gonzales (cf. la scène de danse sous les stroboscopes, celle où elle chante faux sur du Bob Marley ou encore celle où, malgré un virus repoussant l’autre, elle lui demande de lui faire l’amour, toutes remarquables).
Et puis, tout comme dans l'excellent "Bienvenue à Gattaca", dont il se rapproche pour ses qualités de mise en scène et où les gènes sont rois, Code 46 pose de vraies questions concernant un avenir peut-être pas si lointain que cela : aurions-nous vraiment envie de vivre dans une société où la génétique dominerait et agencerait le monde ? Où l'analyse de nos gènes déterminerait le moindre de nos déplacements, nos relations avec l’autre sexe et notre lieu d'habitat ? Et où tous ceux qui sont perçus comme inadaptés sociaux verraient irrémédiablement leur mémoire effacée en guise de remède !? Non, certainement pas !
Pour qu’un tel métrage, qui mise avant tout sur son scénario et son décorum, marche, il faut des acteurs au diapason. Hors, ici on n’en voit véritablement que deux mais ceux-ci sont tout simplement magnifiques et surtout, hyper complémentaires. Tim Robbins ("L'échelle de Jacob" ou encore "La guerre des mondes (2005)") d’abord est comme souvent très juste, sans en faire trop il incarne à merveille ce cadre bien rangé qui rencontre une jeune femme et en tombe instantanément amoureux. Et on le comprend ! Car comment, en effet, ne pas succomber à Samantha Morton (la mutante de "Minority Report", vue aussi dans "John Carter") jouant Maria Gonzales, cette employée du Sphinx !? Elle est tout bonnement incroyable ! Un peu fofolle, un peu femme-enfant, un peu altruiste et carrément libérée, elle a tout pour attirer les hommes dans ses filets et livre une superbe performance, notamment dans la scène de « viol consentant »…
Puis, il y a des trouvailles géniales dans Code 46 : la langue commune à tous les habitants et qui a des racines latines et anglaises, le virus d’empathie, celui d’anti-coït, mais on trouve également des scènes sympathiques comme celle du karaoké où Mick Jones, un des chanteurs du groupe « The Clash », interprète même l'un des titres phare du groupe : « Should I Stay or Should I Go » ! Il y a pire comme référence, non !?
Code 46 fait donc partie de ces films qui n'ont vraiment pas de chance car passés totalement inaperçus. Et on ne comprend vraiment pas pourquoi ! Peut-être qu’il lui manque « l’étincelle » pour en faire un chef-d’œuvre !? Tout cela est d’autant plus frustrant que c’est bien joué, bien filmé, intelligent, que l’histoire où la sobriété côtoie la mélancolie voire la poésie tout en dressant le portrait d'une société possible édifiante et pourtant pas si lointaine, est touchante. Mariant le charnel à la froideur, Winterbottom préfère filmer et montrer l’expression des sentiments d’un amour impossible plutôt que de verser dans la caricature classique d’un univers high-tech avec tout ce que cela comprend de gadgets et il réussit à émouvoir franchement sans sombrer dans le mélo larmoyant. Soulignons aussi des décors sublimes et deux acteurs en osmose pour ce « Roméo et Juliette » moderne subtile à voir assurément.