Mors omnia solvit
Mors omnia solvit
Une jeune femme, incarnation moderne de Perséphone, mène une vie aliénée, prisonnière d'un environnement désolé et oppressant. Un jour, elle rencontre un groupe d'adorateurs de la mort, une secte dirigée par Hadès, qui explore les limites de la vie et de la mort à travers des rituels troublants et des visions extrêmes. Perséphone embrassera sa propre dissolution, transcendant tout lien avec la réalité, devenant un avec le royaume des morts et déformant ainsi le mythe originel...
L'AVIS :
"Mors Omnia Solvit" réinterprète le mythe classique de Perséphone et d'Hadès, explorant les thèmes de l'amour, de la mort et de l'aliénation dans un monde sans espoir où la frontière entre éros et thanatos se dissout.
En toute honnêteté, la découverte du film a précédé celle du synopsis. Et cela me rappelle ma première confrontation avec l'hermétisme de "Begotten", clarifié ensuite par une recherche d'analyse sur le net, m'indiquant que la sombre pellicule que je venais de contempler, et qui m'a laissé une sévère désorientation, n'était en réalité qu'une allégorie tragico-cosmogonique. Ce type de révélation interprétative post-visionnage s'est produite dans le cadre de la rédaction de cette chronique portée sur ce fameux "Mors Omnia Solvit" ; film expérimental caverneux au-dessus duquel volent et croassent les vils corbeaux de la scène black métal. Aucun étonnement au regard des noms affichés au casting et équipe technique.
Cependant, développer une thématique en exposant explicitement les enjeux d'un film cryptique est une chose. C'en est une autre lorsqu'il s'agit d'immerger le spectateur dans l'univers sensoriel proposé par la pellicule. En d'autres termes, ce n'est pas parce que les images ont un sens allégorique et une symbolique ésotérique forte que le contenu est immunisé contre la critique. Je pense notamment aux films "Le Prince des Cieux" de David Thouroude, "Théorie de la religion" de Frédérick Maheux" ou "Flesh of the void" de James Quinn qui usent de cette fâcheuse tendance à expliquer leur film via le synopsis, comme s'ils tentaient maladroitement de justifier le caractère trop abstrait de leurs oeuvres sans en assumer le potentiel mystère. Les premiers à dire "si vous n'avez pas aimé, c'est parce que vous n'avez pas compris". Et pourtant, sachez que la hantise d'une énigme n'est agréable que lorsqu'on ne nous en dévoile pas la clé. Ainsi donc, je dessers mon appréciation de "Mors Omnia Solvit" indépendamment de son synopsis.
Dans les ruines d’un bâtiment délabré, le film s’ouvre sur une introduction clinique, presque froide, qui tranche avec le chaos sensoriel à venir. Très vite, une toile de fond théologique se dessine, suspendue dans une atmosphère mystique, vaporeuse, irréelle et hors du temps. Les nuages noirs se mêlent à la brume, comme si le ciel lui-même refusait de révéler ses secrets. Le ton est sépulcral, rituélique, chaque image semble être l’écho d’une cérémonie oubliée, comme lorsqu'on regarde un long clip black métal, vidé de tout accompagnement mélodique autre que quelques touches de dark ambient et des mélodies maussades au piano qui s’infiltrent par intermittence et que l'on suppose influencées par Hermann Kopp.
Le film estompe toute lumière : nécrophagie, rituel tantrique et nécrotique, désolation sinistre à la "Der Todesking", fantasmagorie ténébreuse, théâtre désespéré… autant de visions qui frappent par leur audace, mais qui parfois glissent dans la déconstruction maladroite, perdant parfois en crédibilité (je pense notamment à l'imitation cheap de "Nekromantik"). On traverse une fièvre crépusculaire et nébuleuse, une énigme cabalistique, une traversée lugubre vers des limbes inextricables et pestilentielles où le spectateur se sent à la fois attiré et repoussé. Les personnages errent, souvent solitaires, parfois dans des décors du quotidien ou naturels, parfois dans l’absence totale de décor, ce qui tisse un mystère funèbre enveloppé de mélancolie.
Les images s'enchaînent comme une danse macabre : désenchantées, nécrosées, désespérées, elles alternent entre l'expérimentation brute et la sophistication subtile. Et en s’appropriant toute l’iconographie du black métal le film invoque l’hostilité de la nature, les lieux sacrés abandonnés, le romantisme noir, la crise existentielle, les paysages inhospitaliers et le nihilisme sordide, celui qui donnerait envie de s'enterrer vivant. Mais l’expérience, au budget modeste que l'on devine, est émaillée de quelques ratés : blasphèmes faciles (en 2025, le blasphème contre le christianisme n'a plus d'effet et fait partie de la norme sociétale) plutôt que l'expérimentation visuelle/sensorielle d'un courant satanique/luciférien, mouvements de caméra trop aléatoires, et absence d'effet de décrépitude, laissant parfois une image trop propre. Mais on retient plusieurs moments virtuoses comme nous aimons voir dans le cinéma expérimental underground. J'ai été particulièrement ravi de me défoncer au stroboscope lors d'une somptueuse scène d'érotisme finale, où l’œuvre aurait sans doute mieux trouvé son socle. Les différences de ton fréquentes brisent parfois l’immersion, rappelant que l’ambition du film dépasse parfois ses moyens, mais n'empêche aucunement d'en apprécier la saveur qui manque malgré tout une pincée de piment.
Pourtant, malgré ses failles, le film possède un charme singulier. Il crée un univers sombre, fiévreux et fascinant, où la poésie des ruines, la mélancolie des silhouettes perdues, et le jeu subtil entre brutalité et raffinement visuel s’entrelacent. Un film réellement substantiel qui ne tombe dans la prétention comme l'eût fait "Opera Mortem" qui, lui, côtoie l'ennui abyssal en tutoyant le vide intersidéral. "Mors Omnia Solvit" n’est ni un chef-d’œuvre, ni un échec : c’est une œuvre à la fois fascinante et frustrante, une offrande imparfaite aux spectres du cinéma d'exploitation underground qui mérite d’être vue pour sa proposition sensorielle et sa tentative de pondre une atmosphère vaporeuse qui vous conduit vers les limbes de l'affliction.
* Disponible en DVD chez TETRO VIDEO