Multiple maniacs
Multiple maniacs
Lady Divine et de son compagnon Mr David oeuvrent au sein d’un freak show itinérant. Les malheureux spectateurs rassemblés sont régulièrement l’objet de vols - et plus rarement de meurtre - par Divine. Cependant, tout ne restera pas au beau fixe au sein du couple, engendrant ainsi une histoire tragique et des péripéties improbables, sur fond de trahison et de mysticisme...
L'AVIS :
Nous suivons donc Lady Divine, évoluant au sein de son freak show : « Lady Divine's Cavalcade of Perversions ». Ce dernier est le théâtre de diverses attractions, présentées en début de film comme une succession de tableaux : des fétichistes de la brûlure de cigarette, lécheurs de sell de vélo, renifleurs d’aisselles, gymnastes nés pratiquant la pyramide humaine nudiste, ou encore un mangeur de vomi. Évidemment, on rêverait tous d’assister à ça. Les spectateurs quant à eux, présents plus ou moins volontairement, surjouent un brin la répulsion. Dans ce cadre idyllique, une ombre apparaît au tableau : Divine est rapidement informée des infidélités de son conjoint, et c’est là que le récit démarre véritablement.
Il serait inutile de le raconter dans le détail, cela serait vain, puisque l’enchaînement des événements est bien évidemment absurde. Nous suivons ainsi Divine ayant une expérience mystico-saphique avec Mink Stole dans une église (avec usage adéquat d’un chapelet : il faut quand même respecter le cadre) et nous assistons en parallèle de cette folle passion au chemin de croix du Christ, histoire de rester dans le thème. S’en suivent diverses tentatives de vengeance de Divine sur son (ex) conjoint adultère, la menant vers une issue fatale.
Multiple Maniacs a posé les bases d’un style qui allait définir celui de son réalisateur, au moins pour la première partie de sa carrière – qui est sans doute la plus notable, en tout cas pour les esthètes. Il continuera à le développer dans les trois longs métrages qui ont suivi : Pink Flamingos (1972), Female Trouble (1974), et Desperate Living (1977). Ces productions associent également (à quelques exceptions près) les mêmes acteurs, constituant l’équipe des Dreamlanders (nom issu de « Dreamland Productions », la boîte de production de Waters). Parmi eux : Divine (le personnage principal de Multiple Maniacs), Mink Stole (ici Mink), David Lochary (Mr David), Edith Massey (la serveuse délatrice qui informe Divine des infidélités de Monsieur), Mary Vivian Pearce (Bonnie, la maîtresse) et Cookie Mueller (fille de Divine), que l’on retrouve tous au cast du film qui nous intéresse aujourd’hui. Ce groupe incarne l'esprit même du film, individualiste et excentrique.
L’absence d’acteurs professionnels pourrait être un défaut dans la plupart des cas, mais ici, leur jeu parfois exagéré et théâtral, est parfaitement en phase avec le ton du film. Les participants contribuent ainsi tous à la création de cette alchimie la plus totale. On retrouve ici d’autres caractéristiques typiques de ses premiers films : des décors minimalistes (scènes tournées dans la rue sans autorisation, dans l’appartement de John Waters, ou encore ici dans le jardin de ses parents, dont la maison est visible à de multiple reprises au début du film), tenues délibérément kitsch, dialogues volontairement outranciers. L’aspect comique du film naît d’une tension constante entre le sérieux des événements (violence, meurtres, trahison) et l’humour absurde employé, un contraste que Waters maîtrise parfaitement.
Le film, malgré son amateurisme qui transparaît dans ses exécutions techniques (l’éclairage, etc.), n’en reste pas moins une oeuvre capturant l’essence même du cinéma indépendant, loin des contraintes commerciales. Cette caractéristique a cependant une conséquence majeure sur le récit et sa narration. En effet, le film a été écrit pour sa première partie (toute l’introduction au sein du freak show) et la suite a été élaborée au fil de l’eau, au fur et à mesure de la collecte par Waters des fonds nécessaires au tournage (budget total : $5,000 environ. Le tournage s’est principalement déroulé à l’automne 1969, mais s’est poursuivi jusqu’en janvier 1970). En résulte une narration parfois chaotique, engendrant des longueurs notables (défaut que n’ont pas ses films ultérieurs, devenant bien plus efficaces en termes de rythme). Les acteurs ont d’ailleurs dû effectuer beaucoup de répétitions, du fait de la quantité très importante de dialogues à retenir. Cependant, le côté fauché et les imperfections techniques viennent renforcer l’esthétique générale et le ton du film. Il serait donc difficile de lui en tenir rigueur. Le lo-fi, ça a parfois du bon et c’est le cas ici.
Multiple Maniacs est donc bordélique, souffre de certaines longueurs bien dispensables, de références culturelles datées, mais il mérite tout de même d’être vu, ne serait-ce que pour son énergie, son originalité, et le fait de poser les bases du cinéma de John Waters. Il demeure, à tort, dans l’ombre de Pink Flamingos. Et puis, après tout, qui n’a pas envie de voir une scène de viol par un homard géant ?