Mise à mort du cerf sacré

Killing of a sacred deer - the

L’histoire suit un chirurgien cardiaque, Steven (Colin Farrell), marié à Anna (Nicole Kidman), avec qui il a deux enfants, Kim et Bob. Steven a également pris en charge un adolescent, à priori maladroit et mal dans sa peau, nommé Martin, probablement par culpabilité après la mort du père de Barry sous le bistouri de Steven lors d'une opération ; il éduque le jeune homme sur les mœurs du monde, ce qui, aux yeux de Steven, implique principalement de posséder des montres hors de prix...

Mise à mort du cerf sacré | Killing of a sacred deer - the | 2017

L'AVIS :

"Un chirurgien ne tue jamais un patient. Un anesthésiste peut tuer un patient, mais un chirurgien ne le pourra jamais."

Sacré Lanthimos !

Ça démarre de manière coriace, dès la première scène le spectateur est (ac)cueillie de manière horriblement clinique : une opération à cœur ouvert, vue de haut en bas, présentée de manière totalement neutre, sur une musique lugubre de Franz Schubert. Images désagréables s’il en est, à la fois effrayantes et froidement humaines, dont il est impossible de détourner le regard, même si ce n’est pas l’envie qui nous manque. Si une grande partie du film se déroule à l'hôpital où Steven travaille et où sa famille est ensuite
soignée et si, dès lors, on ne peut s’empêcher de penser au "Shining" de Kubrick dans la manière de filmer ce bâtiment, magnifique et brillant remplie de longs couloirs où plan après plan, la caméra de Lanthimos glisse derrière Steven comme si elle le traquait silencieusement, nous ne sommes pas sur la même approche et la même vision de l’horreur.
Pour être clair, Mise à mort du cerf sacré est un drame, parfois macabre, mais imprégné par la façon unique et ironique qu’a Lanthimos de voir le monde. Un monde qu'il peuple de personnages qui parlent de manière robotique et détachée et ce bien que ce dernier tente davantage de les confronter à une vie bien plus « réelle » que celle de "The Lobster" (univers dystopique) ou « Canine » (univers réinventé par les parents à destination des enfants), comme si nous étions en présence d’une version déformée d'une histoire effrayante racontée aux enfants autour d'un feu de camp.

"Ils tomberont tous malades et mourront. Bob va mourir, Kim va mourir, ta femme va mourir, tu comprends ?"

L’histoire ? un mythe édifiant dans lequel une famille apparemment parfaite va devoir se battre contre une force inexplicable, à savoir un certain Martin, jeune homme comme surgit des ténèbres, ayant perdu son père des suites des actions de l’autre père, chirurgien de son état et ancien alcoolique mondain (comme on dit chez ces gens-là). Si le titre du film fait référence au mythe grec d'Iphigénie, qui fut offerte en sacrifice par son père Agamemnon pour satisfaire la déesse Artémis après qu'il l’eut offensée (quelle idée aussi !), on pense surtout à une des personnages des contes de Grimm, un dénommé Tracassin (Rumplestiltskin en version originale, à vos souhait), nain ou gobelin de son état, créature surnaturelle qui en échange de ses services demande à une jeune paysanne de lui donner son nouveau-né. Sauf que, Lanthimos prend ces références et la fait dériver dans une direction plus originale et contemporaine : Martin n'est plus une déesse en colère ou un nain surnaturel amateur de chair fraîche, mais un adolescent confus et retord, s'en prenant à son pseudo mentor d'une manière impossible à diagnostiquer de manière rationnelle. Ce qui fera plonger le film dans une forme de fantastique horrifique du meilleur aloi.

"Tu comprends ? C'est métaphorique. Mon exemple, c'est une métaphore. Je veux dire, c'est euh... c'est symbolique.'

Pourtant, ce serait une erreur d’examiner trop en profondeur le « comment » et le « pourquoi » du film. Les « quoi » parlant d’eux-mêmes. Face à l'impensable, la famille Murphy pense à des choses auxquelles elle n'avait jamais pensé auparavant et adopte un comportement bizarre. L’amour (ou ce qu’ils appellent l’amour qui n’est en fait qu’une parodie de celui-ci) qu’ils tenaient pour acquis se réduit à peau de chagrin. Et si chaque « bonnes choses » qu’ils ont semblé faire l’un pour l’autre n’était que des illusions ? Et si, comme semble l’affirmer le réalisateur, chaque famille est à deux doigts de sombre dans le chaos et qu’il suffirait d’un rien (ou d'une divinité cruelle dans le cas présent) pour qu'il en soit ainsi ? L'histoire est vicieuse, l'ériture insidieuse. On demande aux acteurs d'être à moitié endormis mais c’est dans cet état, comme beaucoup d'entre nous si on y réfléchit un peu, que se révèlent, parfois, des vérités inattendues.
 
'Il aurait dû sortir vivant de cette opération, mais il est mort."

Le spectateur n’en est pas loin, à vrai dire. L’expérience vécue par la vision de ce film est une agonie exquise, « drôle » à en mourir, à la fois révélatrice et douloureuse. 
Sacré Lanthimos !

Mise à mort du cerf sacré | Killing of a sacred deer - the | 2017
Mise à mort du cerf sacré | Killing of a sacred deer - the | 2017
Bande-annonce
Note
4
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Lionel Jacquet