Dear Esther
Dear Esther
Vous vous trouvez sur une île abandonnée. Vous marchez lentement quand une voix commence à lire une lettre : "Dear Esther..." Vous voilà embarqué dans une aventure à la première personne qui se vit comme on lit un livre...
Une fois n’est pas coutume, chronique d’un jeu beaucoup plus proche du livre qu’un jeu vidéo traditionnel. A travers une histoire énigmatique qui nous laisse le soin de recoller ses morceaux épars, les anglais de l’éditeur The Chinese Room nous emmènent avec Dear Esther à travers une expérience romantique unique en son genre.
En effet, l’on ne peut pas vraiment parler de jeu vidéo à proprement parler, puisqu’aucun objectif ne nous motive plus que ne le ferait un film ou un roman : personne à tuer, rien à ramasser, et même pas un personnage à incarner, pas vraiment d’interaction à vrai dire. A peine habitons nous une âme en peine pour l’écouter ressasser son histoire... car tout est ici affaire de contexte et le vrai défi réside peut-être dans le fait de trouver les liens cryptés entre la narration et la mystérieuse île que l’on arpente au fil de l’histoire.
Si Dear Esther a un passé de mod pour Half-Life 2 (car construit avec le Source SDK - pour les connaisseurs - https://developer.valvesoftware.com/wiki/Main_Page), ce jeu mérite largement par son identité très forte sa récente nature de programme indépendant. En un ponton et quatre notes de piano, on a compris que c’est la flânerie et l’abandon qui guide une bien jolie progression à travers la lande. Vent, dunes, granit et landes tourbées, bâtiments abandonnés et grottes mystérieuses : leur dénominateur commun n’est qu’une lumière rouge perdue dans la brume et la profonde mélancolie qui se dégage de la musique et de la voix du narrateur. Les parts d’histoire se déclenchant au fur et à mesure de l’avancée, on a la sensation d’avoir un genre d’esprit à nos côtés, greffé à notre vie, nous suivant dans l’espoir de quitter son enfer personnel, où la mort est insidieusement omniprésente.
Le problème qui pourrait se poser dans le cas d’un format créatif hybride tel que celui de Dear Esther est la contradiction pratique qui réside dans le fait d’interagir sans réel but, à travers des chemins extrêmement balisés, et surtout d’une unique façon : la pression légère du doigt sur la touche ‘avancer’. L’autre souci majeur de Dear Esther, c’est de miser sur l’exploration d’un lieu magnifique... et d’en restreindre outrageusement le terrain de jeu. L’ennui et la frustration pourront faire abandonner les moins rêveurs d’entre nous, qui peuvent aussi bien être chacun d’entre nous suivant l’humeur.
L’intérêt toutefois réside dans la place princière réservée au joueur : il est la vie dans un genre d’île des morts, sans le côté jugement dernier de celle de la peinture de Böcklin. C’est bien le joueur qui va guider ce mystérieux esprit perdu dans la lande, marcher dans ses pas, mimer symboliquement sa mort pour le libérer enfin. Pari néanmoins bien risqué qui nécessite une obligatoire implication : sans cela point de salut, et c’est, avec la courte durée (1h30 au bas mot), ce qui laisse derrière bon nombre d’entre nous et classe Dear Esther dans le drôle d’abîme des inclassables. Heureusement l’on peut compter son prix modique et sur les amateurs de raretés pour lui assurer un succès correct et pas mal de récompenses du jeu indépendant dans les catégories visuelles, audio, originalité (rafraîchissant critère) et narration (voir le détail sur la page du jeu : http://dear-esther.com/).
Passé outre cet écueil, c’est l’émerveillement permanent : visuel, sonore, littéraire... Pour peu qu’on se laisse envahir par la poésie environnante, la magie ne quittera jamais vos pas. A travers un accord de violon, une note de piano, l’éclat d’une pierre précieuse ou d’une cascade, on observe pour ainsi dire aucune fausse note dans ce bien bel hommage au romantisme. Malgré cela, imposer de l’implication au joueur est toujours un terrain glissant. Voilà un genre de jeu qui doit être visité et oublié, pour qu’on y revienne ponctuellement peut-être. Par sa nature bancale, Dear Esther mérite un coin de ludothèque, celui qu’on visite rarement où sont rangés les meilleurs crus : le coin des rêveurs.
PS : conseil si vous achetez sur Steam : achetez le pack avec la magnifique musique de Jessica Curry incluse, sinon c’est par ici : http://jessicacurry.bandcamp.com.