Deux yeux malefiques

Two evil eyes

L'étrange cas du Docteur Valdermar : une jeune femme et son amant, un médecin adepte de l'hypnose, tentent de se débarrasser de son vieux mari, au seuil de la mort. Et le paranormal s'en mêle…
Le chat noir : un photographe un peu "spécial" voit sa compagne accueillir un mystérieux chat noir dans leur petit foyer. Une tension nait entre l'animal et l'homme, le drame n'est pas loin…

DEUX YEUX MALEFIQUES | TWO EVIL EYES | 1990

Adaptées maintes fois au cinéma, et très souvent par Roger Corman dans les années 60, les histoires de Edgar Allan Poe ne trouvent guère de second souffle dans les années 80-90 malgré quelques sous-produits plus ou moins sympathiques ("L'enterré vivant" et sa suite, voire "L'emmuré vivant"). C'est lors d'un tournant assez douloureux pour le cinéma fantastique (les années 90, qui vont reléguer la plupart des films de genre sur les étagères poussiéreuses des vidéo-clubs), qu'un tandem déjà connu se reforme: Dario Argento et George A. Romero.

Maître du macabre pour l'un et maître des zombies pour l'autre, le duo s'était ainsi formé lors du tournage de "Zombie", puisque Argento produisit et remonta le film, tout en y injectant l'électrisante B.O des Goblins. Fin des années 80 donc, Argento est dans une période considérée comme creuse après avoir réalisé l'intéressant mais trop sous-estimé "Opéra", et Romero aura surpris une fois de plus son public avec le très grand "Incidents de parcours".

C'est donc le pionnier de la poésie macabre qui rejoint les deux maîtres : Edgar Allan poe, qui aura brillamment inspiré d'importantes personnalités comme Baudelaire, Fulci ou Mylene Farmer, entre autres. Les deux histoires sélectionnées, "L'étrange cas du docteur Valdermar" et "Le chat noir", ont été déjà portées sur grand écran dans le film à sketches "L'empire de la terreur". D'ailleurs le récit du Chat noir n'a pas été illustré qu'une fois à l'écran, même Luigi Cozzi ou Lucio Fulci s'y sont attelés.

Romero brasse vengeance, adultère, gore et mort-vivant dans le premier sketch, s'apparentant à un sympathique moment d'horreur à la E.C Comics, l'humour (même noir) en moins.

Egérie du genre, Adrienne Barbeau incarne une femme fatale utilisant l'hypnose en compagnie de son amant, pour forcer son mari à lui livrer un bel héritage. Un mari tenu en vie quasi artificiellement, qui causera bon nombre de torts aux amants, torts qui ne seront en aucun cas de l'ordre du rationnel !

Aussi grand guignolesque qu'il soit (le final, parfaitement cauchemardesque), le segment de Romero se révèle très efficace et même flippant ! En témoigne cette sombre implication de spectres, précipitant le film dans l'horreur la plus surprenante. Romero met en scène deux beaux morts-vivants et glisse un amusant clin d'œil (v.o only) à "La nuit des morts-vivants" ("They coming to get you Jessica"). Un excellent moment.

Argento abandonne de son côté ses éclairages colorés, ses tueurs gantés de noirs, ses jolies victimes, ses lames de rasoir et sa musique électronique pour une adaptation moderne du "Chat noir". Harvey Keitel endosse sans trop de problèmes le costume d'un photographe alcoolique, agressif, et tourmenté par la présence de ce chat noir tout aussi peu vindicatif. Un chat noir aux réflexes inquiétants, et dont la marque blanche en forme de gibier de potence n'annonce rien de bon.

On appréciera le coté macabre encore plus prononcé, tendant vers l'univers de Fulci, comme ces cadavres victimes de serial killers terrifiants, que le héros s'empresse de prendre en photo pour son boulot. Petit clin d'œil à la nouvelle du "Puit et du pendule" et apparition furtive de Tom Savini en psychopathe en prime !

Outre son actrice principale fort troublante et tout à fait "space" (Madeline Potter, rare), "Le chat noir" se laisse aller vers une conclusion dérangeante et terrible, que Argento "booste" admirablement. Difficile de laisser échapper ses petits détails fidèles à l'univers Argentesque, de cette mise à mort sanguinolente et esthétique (belle vision de cette baignoire de sang), de cette plongée curieuse et onirique dans un moyen age fantasmagorique, et ces partis pris techniques typiquement "Argento" : vue subjective du chat et d'un pendule découpant un cadavre, gros plan sur le trou d'un évier se vidant d'un flot de sang…
Sans aucun lien particulier entre eux, célébrant les maquillages prodigieux de Tom Savini et se révélant au final comme deux moyens métrages reflètant parfaitement l'univers des deux créateurs, ces deux segments forment une vision inimitable de l'oeuvre d'Edgar Allan Poe.

DEUX YEUX MALEFIQUES | TWO EVIL EYES | 1990
DEUX YEUX MALEFIQUES | TWO EVIL EYES | 1990
DEUX YEUX MALEFIQUES | TWO EVIL EYES | 1990
Note
5
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Jérémie Marchetti