Dachra
Dachra
Trois étudiants tunisiens en journalisme doivent réaliser un reportage sur le sujet de leur choix. Yasmine, Walid et Bilel décident alors d’enquêter sur le passé d’une dame nommée Mongia, retrouvée mutilée en bord de route il y a 25 ans et aujourd’hui internée en hôpital psychiatrique, suspectée de sorcellerie. Une dame dont on ignore tout de son passé…
L’enquête des trois étudiants va les conduire vers un petit village reculé, coupé du reste de la civilisation par une grande forêt. Un village répondant au nom de Dachra et dont le chef invite Yasmine et ses deux amis à se restaurer et à rester pour la nuit. Peut-être aurait-il fallu gentiment refuser l’invitation…
L'AVIS:
Présenté entre autres à la Mostra de Venise, à l'Étrange Festival et au Fantastic Fest d’Austin en 2018, le film d'Abdelhamid Bouchnak intitulé "Dachra" a également été projeté dans le cadre du hors-compétition de la 26ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer.
Un film d’horreur tunisien ? Pas commun comme projet et le jeune Adbelhamid Bouchnak savait qu’il allait falloir batailler ferme pour pouvoir réaliser ce long-métrage. Pas de subvention, pas de sponsor, le réalisateur tunisien a même hypothéqué une partie de ses biens pour permettre à son film de voir le jour.
Mais tous ces efforts ont été récompensés : "Dachra" a réalisé 100 000 entrées en 17 jours seulement d’exploitation sur le sol tunisien (le film est sorti au Maghreb le 23 Janvier 2019), des chiffres annoncés par le distributeur Hakka Distribution. Une belle performance pour un film d’horreur « made in Maghreb » !
Et pourtant, "Dachra" n’a pas fait que des heureux(ses) suite à sa projection au festival vosgien, à en croire les divers festivaliers que j’ai côtoyés durant la manifestation. « Trop bordélique », « trop long dans sa première partie », « incohérent dans sa seconde moitié » ou encore « pauvre copier-coller du projet Blair Witch » sont les principaux reproches entendus quand nous discutions du film d’Abdelhamid Bouchnak.
« Dachra » n’est en effet pas exempt de défauts, loin de là même, mais j’avoue avoir passé un fort agréable moment devant ce film « pas comme les autres », sorte d’ovni comme l’était par exemple l’année précédente à la Perle des Vosges le surprenant et mystérieux "housewife" de Can Evrenol. Une ambiance, des scènes chocs ou encore des mystères restant entiers et laissant libre cours à notre interprétation et nos réflexions : voilà des points communs entre ces deux métrages présentés sur Gérardmer, même si j’avoue avoir préféré le film tunisien dont il est question aujourd’hui dans cette chronique.
Alors oui il est vrai que la première moitié du film traîne quelque peu en longueur, mais certaines séquences parviennent à retenir l’attention du spectateur, qu’il s’agisse d’une petite excursion dans les sous-sols glauques et peu rassurants d’un asile psychiatrique ou encore, dans un autre registre, ces petites blagues/vannes entre nos deux protagonistes entourant notre héroïne.
Car il faut bien le reconnaître, cette première partie joue beaucoup la carte de l’humour (des vannes, des altercations, des moqueries...) et va surtout se concentrer sur les bases de l’enquête qui nous mènera au fameux village de Dachra, tout en nous familiarisant avec notre trio d’étudiants en journalisme. Une première moitié certes bien moins intéressante que celle qui va suivre ensuite (plus sombre, plus angoissante, plus énigmatique...) mais qui est parvenue à me distraire, chose pas forcément aisée quand on voit comment certains métrages se vautrent en voulant présenter son casting par le biais de dialogues à rallonge et parfois sans grand intérêt pour l’intrigue (qui a parlé de "Jeruzalem" ?)
Puis vient donc cette deuxième partie de film, rappelant certes le long-métrage de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez intitulé "le projet blair witch", mais proposant tellement plus que ce film estampillé parfois à tord comme le premier found-footage (certain(e)s n’ont visiblement jamais vu par exemple "cannibal holocaust" sorti... presque 20 ans avant !)
Le film d’Abdelhamid Bouchnak va carrément virer à 180 degrés pour basculer dans l’angoisse et l’horreur. L’arrivée dans ce village de Dachra (qui signifie en arabe « village lointain ») marquera une séparation radicale entre les deux parties qui composent le film. Une seconde moitié qui prouvera que "Dachra" est un véritable film d’ambiance, de part l’atmosphère sombre et inquiétante qu’il distille (nous avons d’ailleurs droit à des couleurs très froides et plusieurs scènes de nuit) mais également le cadre qui nous est offert ici (un village en ruine en plein milieu d’une vaste forêt sinistre, des femmes muettes des plus inquiétantes, la découverte de rites mystérieux...).
Une ambiance pesante, des protagonistes énigmatiques et n’inspirant pas confiance (un chef de village qui semble tout faire pour que nos jeunes journalistes passent la nuit à Dachra, une femme vêtue de noir de la tête au pied et que les autres villageois semblent vouloir éviter, une fillette mystérieuse qui semble avoir un goût prononcé pour la chair...), sans oublier des éléments bizarres pour ne pas dire perturbants (de la viande pend sur des cordes tel du linge un peu partout dans le village, des sacs imposants que le chef du village ramène à fréquence régulière...). Tout semble fait ici pour nous inquiéter, pour créer le malaise et pousser notre trio de jeunes étudiants à quitter ces lieux (chose qu’ils ne pourront pas car les roues de leur voiture ont été volées).
Vient alors l’une des grandes questions du film que se sont posées de nombreux festivaliers à Gérardmer : mais pourquoi donc rester dans ce village si peu accueillant (un sentiment d’insécurité nous parcourt) ? Un élément déclencheur en fin de récit (en plus de cette histoire de vol de roues de voiture) répondra à cette question qui pouvait alors être vue au départ comme une incohérence dans le scénario. Rien ne semble laissé au hasard par Abdelhamid Bouchnak, même si ce dernier aime visiblement jouer avec le feu...
Car en effet, même si "Dachra" nous plonge en plein folklore local (avec réussite il faut l’avouer) et revient sur des légendes urbaines tunisiennes à base de sorcellerie, de superstition et de rapts d’enfants, notre réalisateur combine peut-être un peu trop de thématiques qui rendent l’intrigue quelque peu complexe. Sorcellerie, cannibalisme, monstre, kidnapping d’enfants et autres joyeusetés sont au programme dans ce film mêlant scènes chocs (quelques scènes saignantes, un repas répugnant...) et ambiance pesante allant crescendo (on pense notamment au jeu vidéo "Resident Evil 4").
Une intrigue au final un peu confuse mais pour laquelle je pris un véritable plaisir à décortiquer chaque séquence un brin énigmatique pour en comprendre le sens exact (ou du moins en tirer l’interprétation que moi j’en donnais), sans oublier que les péripéties proposées dans ce scénario suffisamment (pour ne pas dire trop) riche permettent d’en savoir davantage sur les personnages clés de notre histoire et ainsi de boucler certaines sous-intrigues.
Un véritable « puzzle scénaristique » qui prend forme au fur et à mesure que l’intrigue avance, même si certaines interrogations subsisteront en fin de métrage, le réalisateur laissant libre cours à notre imagination.
Sans vouloir tout nous expliquer mais nous proposant malgré tout quelques flash-backs explicatifs surprenants et bienvenus dans sa dernière partie pour "compléter le puzzle" dirons-nous,"Dachra" est un très bon moment de cinéma pour quiconque aime les films d'ambiance, n’en déplaisent aux nombreux festivaliers rencontrés sur place à Gérardmer lors cette 26ème édition du Festival International du Film Fantastique et n’ayant pas du tout aimé ce film maghrébin.
Enigmatique, quelque peu fourre-tout aussi il faut bien l’admettre, le film d’Abdelhamid Bouchnak est un petit ovni à voir au moins une fois.
Un film d’Afrique du Nord baignant dans le fantastique n’est pas chose courante, donc quand en plus ce dernier montre pas mal de qualités dont notamment une ambiance réussie, glauque et frissonnante à souhait, je ne peux que vous le conseiller, en espérant que le réalisateur maghrébin nous surprendra une fois de plus avec un second métrage.